Foxcatcher est inspiré de l’histoire vraie des frères Schultz, sportifs de haut niveau, que prend sous son aile John E. du Pont (Steve Carell), un milliardaire excentrique qui rêve de coacher l’équipe nationale de lutte pour les JO de Seoul de 1988. Celui-ci invite Mark Shultz (Channing Tatum), médaillé d’or olympique, à emménager dans sa luxueuse propriété familiale et lui propose de rejoindre son équipe Foxcatcher. Mark saute sur cette occasion qui lui permet de bénéficier d’un camp d’entraînement haut de gamme en vue de la compétition et de prendre ses distances avec son grand frère Dave (Mark Ruffalo), également champion de lutte qui lui fait un peu trop d’ombre à son goût.
Mark trouve rapidement chez du Pont un père de substitution qui flatte son ego. Le riche héritier est quant à lui obsédé par le fait d’obtenir, grâce au succès de son équipe de champions, le respect de ses pairs et surtout l’approbation de sa mère (Vanessa Redgrave), femme castratrice qui le juge très durement. Peu à peu, Mark découvre que John, victime de ses névroses, est totalement instable, après l’avoir surprotégé, le coach manipulateur le pousse désormais à prendre des habitudes malsaines qui pourraient l’éloigner de son rêve de victoire. Pour redonner confiance au champion, son frère Dave est appelé à la rescousse au sein de l’équipe Foxcatcher. Malheureusement, l’esprit torturé de du Pont continue de dériver et sa paranoïa est sur le point d’atteindre un tragique point de non retour.
Transfert mortifère
Réalisateur de Truman Capote (2005) avec le regretté Philip Seymour Hoffman et plus récemment du film Le stratège (2011) avec Brad Pitt, Bennett Miller livre avec ce drame mêlant sport de haut niveau et pouvoir son film le plus abouti. Le cinéaste nous plonge au cœur de cette étrange famille composée de Mark, athlète fragile en quête de gloire, son frère Dave, toujours là pour le soutenir, au risque de l’étouffer, et John E. du Pont, la figure paternelle totalement névrosée qui cherche, à travers son équipe de lutteurs, une reconnaissance qui lui échappe. Le film, tout en sobriété, explore la relation malsaine qui unit ce trio où l’étrange père de substitution finit par s’opposer à Dave, le grand frère protecteur.
À travers le personnage de John E. du Pont, obnubilé par le fait d’être – enfin – reconnu dans le milieu sportif, Foxcatcher évoque le pouvoir de l’argent et la quête de la réussite à tout prix, le premier n’assurant pas forcément l’accomplissement du second. Cyclothymique, frustré et humilié par une mère qui prend de haut sa passion pour la lutte, le coach de l’équipe Foxcatcher est un paradoxe complexe, homme puissant à la richesse colossale, il est surtout cet homme qui n’a jamais su s’imposer et se révéler à lui-même, contraint de vivre par procuration les réussites de ses protégés. Ce désir inassouvi, impossible à atteindre, entraine chez lui la manie du contrôle absolu qui, doublé d’une paranoïa aigue, le poussera à commettre l’irréparable.
Le climat malsain qui s’installe progressivement entre John du Pont et les deux frères et la lente montée en tension – de la violence psychique à la violence physique – sont décrits de façon remarquable. Ici l’accent n’est pas mis sur les quelques matchs de lutte – récurrents points d’orgue des films sur le sport –, dans cette tragédie tout se joue dans les coulisses de la luxueuse résidence d’un homme aussi riche que perturbé.
Impressionnantes performances
Sublimé par une réalisation sobre et précise qui a permis à Bennett Miller de remporter au dernier Festival de Cannes le Prix – amplement mérité – de la mise en scène, Foxcatcher brille également par des performances hallucinantes. Channing Tatum est parfait en sportif crédule, ébloui par les promesses du milliardaire, et qui finit par déchanter quand il découvre – sur le tard – sa vraie nature. Mais l’interprétation la plus saisissante est évidemment celle de Steve Carell, méconnaissable dans la peau de John E. du Pont. L’acteur nous rappelle qu’il n’est pas – seulement – le bouffon de comédies plus ou moins réussies mais qu’il peut également endosser des rôles plus troubles, à l’image de celui de Frank Ginsberg, l’oncle gay suicidaire du réjouissant Little Miss Sunshine (2006). Steve Carell, enlaidi comme jamais et méconnaissable jusque dans la voix, s’en sort à merveille dans l’incarnation toute en finesse de cet homme pathétique aussi risible qu’effrayant. Ce personnage qui a tout – sauf l’essentiel – reste irrémédiablement vide et, à ce niveau, entre en résonnance avec son lointain cousin, le Charles Foster Kane de Citizen Kane (1941).
Film sur le pouvoir, la réussite et l’obsession du contrôle, jusqu’à la folie, Foxcatcher revisite magistralement ce fait divers dramatique des années 80. Moins connu de ce côté de l’Atlantique, le dénouement de cette tragédie n’en sera que plus surprenant pour le public français, de quoi vous clouer au tapis.
> Foxcatcher, réalisé par Bennett Miller, États-Unis, 2014 (2h09)