En août 1945, la Seconde Guerre mondiale touche à sa fin. En Europe, c’est plié. Dans le Pacifique pas encore. Le Japon refuse d’abdiquer. Gavés par la ténacité nipponne, les Etats-Unis décident finalement de montrer qu’ils ont la plus grosse… arme de destruction massive. Le 6 août, Hiroshima en fait les frais et prend la première bombe atomique sur le front. Trois jours plus tard, les Américains balancent la petite sœur sur Nagasaki. Le Japon remballe ses kamikazes et rend les armes. Le quartier de Gion ne le sait pas encore, mais il vient d’éviter le spectacle son et lumière gracieusement offert par les Américains. La B.A. des Etats-Unis a consisté à ne pas décimer la ville de Kyoto, détentrice d’un patrimoine culturel considérable, et ainsi permettre une réconciliation avec les Japonais, à l’occasion. Dans un pays où la tradition occupe une place si importante on ne peut que souligner la "pertinence" de l’initiative.
Le samuraï comme un symbole
A l’origine, Gion est un quartier où l’on ne reste pas. On y pionce une nuit ou deux, le temps pour le visiteur de pénétrer dans le temple shintoïste, le sanctuaire rougeaud de Yasaka, d’honorer sa divinité et de décamper. Mais, en 656 après Jésus Christ, le tourisme en est encore à ses balbutiements. Quelques décennies plus tard, Kyoto prend du galon lorsqu’elle devient le siège de la cour impériale en 794. Des familles importantes et des seigneurs rappliquent et amènent avec eux toute une escorte. Dans le Japon féodal, on est puissant quand on est bien muni en hommes qui savent se battre. Ces hommes s’appellent les samouraïs, ils représentent la classe guerrière et sont au service des shoguns, des seigneurs qui se battent pour contrôler un bout de pays.
Gion est alors aux samouraïs ce que le XIème arrondissement de Paris est aux graphistes, un QG où l’on picole et se divertit. A la différence près que les bagarres de rues devaient être un brin plus spectaculaires à l’époque. Les samouraïs sont des guerriers élevés "à la dure" : confort minimum, contrôle des émotions, contrôle de ses peurs, contrôle de soi, en général. Ils vénèrent des Dieux anciens, l’esprit de leurs ancêtres, adhèrent à la philosophie bouddhique et n’ont pas peur de la mort, pas de la leur, encore moins de celle de l’autre. Le samouraï incarne une certaine tradition japonaise. Et, à ce titre, a probablement contribué à faire du quartier de Gion l’un des principaux dépositaires du "Japon ancestral". Au même titre que les geishas et les maikos (apprenties geishas) alors chargées de s’occuper des guerriers et de leurs repos.
Gion, un socle séculaire pour la société nipponne
Contrairement à une idée très répandue, la geisha (qui signifie « personnes des arts »), très présente à Gion, n’a rien à voir avec une prostituée. Les geishas sont des femmes à l’éducation stéréotypée qui tiennent compagnie à des hommes, souvent des habitués. Vêtues d’un kimono en soie, dont les couleurs varient selon les saisons, elles portent des sandales en bois et sont régulièrement fardées de blanc. Maîtrisant plusieurs instruments de musique et de nombreuses danses, excellant dans la cérémonie du thé, maniant parfaitement l’art de la conversation et les règles de certains jeux, les geishas doivent également avoir un levé de coude bien au-dessus de la moyenne, afin d’accompagner leurs clients lorsqu’ils enquillent les sakés cul-sec. Si parfois la frontière avec la prostitution est ténue –il arrive que certaines geishas aillent au delà de la distraction platonique – il faut souligner que ces professionnelles du divertissement incarnent elles aussi la perpétuation d’une certaine tradition japonaise.
Outre les geishas, la fête millénaire et le sanctuaire, les rues étroites de Gion offrent d’autres petites merveilles des temps passés, comme les machiyas, ces longues baraques en bois dans lesquelles s’entassaient les familles d’artisans. Ou encore les chashitsu, endroits réservés à la cérémonie du thé. Gion est l’archétype du quartier historique, un quartier qui incarne le Japon d’antan. Celui où les tours n’ont pas poussé, celui où les robots paraîtraient incongrus. Probablement un de ceux qui équilibrent ce pays qui oscille constamment entre une ultra-modernité souvent futile, et des valeurs séculaires auxquelles il semble finalement très attaché.