« Gloria Bell », dancing queen

« Gloria Bell », dancing queen

« Gloria Bell », dancing queen

« Gloria Bell », dancing queen

Au cinéma le 1 mai 2019

Quinquagénaire farouchement indépendante, Gloria tombe sous le charme d'Arnold et se laisse tenter par la promesse d'une belle histoire. Sublimé par Julianne Moore au sommet de son art, Gloria Bell est un portrait de femme inspirant dont la quête de bonheur douce-amère est animée par une soif de liberté universelle.

Résolument indépendante, Gloria (Julianne Moore), quinquagénaire divorcée, n’a aucune envie de restreindre sa vie à son rôle de mère, et encore moins de grand-mère. Libre, elle aime s’étourdir la nuit dans les dancings pour célibataires de Los Angeles au rythme des tubes disco, en quête de rencontres passagères. Lorsqu’elle rencontre Arnold (John Turturro), Gloria se laisse entraîner dans une folle passion avec cet homme assez mystérieux et discret sur son passé. Comme Gloria, Arnold a deux enfants mais les deux amoureux ne gèrent pas leur responsabilité parentale de la même façon.

De son côté, Gloria arrive à jongler tant bien que mal avec les hauts et les bas de sa progéniture : son fils Peter (Michael Cera) se retrouve seul avec son fils après la désertion de sa femme et sa fille Anne (Caren Pistorius) s’apprête à partir à l’autre bout du monde avec son petit ami surfeur. Arnold semble au contraire asphyxié par sa responsabilité de père. Partagée entre l’envie d’y croire à nouveau et un doute de plus en plus pressant, Gloria va devoir remettre en question ses priorités si elle souhaite s’épanouir pleinement. Mais que veut-elle vraiment ?

Gloria Bell © Fabula - FilmNation Entertainment - Mars Distribution

Hymne à la Moore

Sebastián Lelio n’est pas être totalement inconnu des cinéphiles car le réalisateur s’est fait remarquer en remportant l’Oscar du meilleur film étranger en 2018 pour Une femme fantastique (2017), un drame brillant évoquant le deuil confisqué d’une femme transgenre (lire notre chronique). Avec Gloria Bell, le cinéaste propose un nouveau portrait de femme forte, remake américain de son film Gloria, sorti en 2013. Il entre ainsi dans le club fermé des réalisateurs chargés de refaire une nouvelle version d’un de leurs films, à l’image de Michael Haneke proposant Funny Games U.S. (2007), dix ans après l’original. Cinq ans seulement séparent Gloria de sa version américaine mais beaucoup de choses ont changé à commencer par le débat sur la place des femmes dans la société qui est désormais omniprésent. Si Sebastián Lelio considérait son film en avance sur son temps en 2013, cette nouvelle version que Julianne Moore porte sur ses épaules expertes entre en parfaite résonance avec l’actualité.

Gloria Bell © Fabula - FilmNation Entertainment - Mars Distribution

Selon l’aveu du cinéaste, peu de personnes croyaient à ce projet sur une quinquagénaire qui passe son temps à boire et à faire la fête à l’origine. Il faut avouer que — même sans être Yann Moix — l’idée du cinéaste est, sur le papier, potentiellement risquée. Mais le réalisateur assume le parti-pris du sujet : raconter la vie assez ordinaire d’une femme d’un certain âge qui elle-même ne penserait pas « mériter » que l’on réalise un film sur sa vie. Et le résultat de cette prise de risque est réussi et terriblement attachant.

La magie de Gloria Bell opère à différents niveaux mais son pilier est la performance lumineuse de Julianne Moore. L’actrice est sublime dans la peau de cette femme libre qui semblait avoir fait le deuil d’une nouvelle relation mais se laisse prendre au jeu de l’amour une nouvelle fois auprès d’un homme charmant mais torturé, subtilement interprété par John Turturro. Julianne Moore irradie dans chaque plan de cette comédie dramatique qui flirte secrètement avec un autre genre cinématographique.

Gloria Bell © Fabula - FilmNation Entertainment - Mars Distribution

Gloire au son

Le réalisateur l’avoue aisément : Gloria Bell est une comédie musicale non assumée. La musique est en effet omniprésente dans le film : dans l’autoradio de Gloria et sur la piste de danse du dancing sans oublier la bande son spécialement composée par Matthew Herbert. Si le disco échauffant la piste de danse est surtout un exutoire physique facilitant les rapprochements, la musique que Gloria écoute dans sa voiture n’est jamais anodine. Les paroles des tubes All Out Of Love par Air Supply ou encore A Little More Love d’Olivia Newton-John sur lesquels s’époumone Gloria en conduisant sont autant d’indices sur son état d’esprit dans différents moments de sa quête de bonheur.

Gloria Bell © Fabula - FilmNation Entertainment - Mars Distribution

En covoiturage avec Gloria, le spectateur capte directement ses émotions — ses joies et ses doutes — sans avoir besoin d’actes ou de paroles pour les expliciter. Cette idée d’états d’âmes musicaux est brillamment utilisée lorsque le cultissime Total Eclipse of the Heart de Bonnie Tyler accompagne le tournant du film dans une scène totalement jouissive. L’inévitable titre Gloria d’Umberto Tozzi — dans sa version reprise par Laura Branigan — complète ce portrait musical à la fois grave et exalté de la quinquagénaire.

Dans ce morceau, la fameuse Gloria est « toujours en fuite » et proche du point de rupture. Toute ressemblance avec l’héroïne de Sebastián Lelio n’est évidemment pas fortuite. Rythmé par la musique, Gloria Bell est également menacé par ce temps qui passe et balance ses injonctions — à se mettre en couple, à rester jeune ou encore à être heureux — au visage de ceux qui n’ont rien demandé.

Gloria Bell © Fabula - FilmNation Entertainment - Mars Distribution

Mourir sur la piste de danse

Sans jamais être imposée frontalement au spectateur cette thématique du temps qui file se manifeste à travers les remarques faites à Gloria par ses proches : sa fille Anne lui fait remarquer que tout le monde est susceptible de mourir demain et sa mère lui rappelle que le temps passe trop vite. Gloria lui fait d’ailleurs malicieusement remarquer que cet avertissement maternel revient tous les dix ans, ce qui ne fait que renforcer sa force. Alors que faire avec ce temps qui passe trop vite et cette difficulté à jongler entre vie amoureuse et vie familiale ? Sebastián Lelio n’a pas l’arrogance de proposer une solution tout prête à son personnage même si Gloria semble avoir sa propre idée.

Alors que ses amis lui demandent où elle aimerait être lorsque la fin du monde arrivera — une projection apocalyptique chaque jour un peu moins fantaisiste —, Gloria n’hésite pas une seconde : une piste de danse. Pour Shakespeare, le monde est « un théâtre où chacun doit jouer son rôle ». La version de Gloria est — naturellement — plus festive : le monde est une immense piste de danse où les rayons lumineux des spots viennent sporadiquement éclairer l’obscurité existentielle. Danser librement et vivre pleinement, dans l’instant, sans penser au morceau suivant. Ainsi parla Gloria. Et, après tout, qu’avons nous mieux à faire en attendant la fin ?

Magnifique portrait d’une femme indépendante en prise avec une quête de bonheur universelle, Gloria Bell est illuminé par la présence magnétique de Julianne Moore, d’une justesse bouleversante. Avec cet hymne à la liberté, Sebastián Lelio ajoute à sa filmographie une nouvelle femme inoubliable.

> Gloria Bell, réalisé par Sebastián Lelio, Chili – États-Unis, 2018 (1h41)

Affiche du film "Gloria Bell"

Gloria Bell

Date de sortie
1 mai 2019
Durée
1h41
Réalisé par
Sebastián Lelio
Avec
Julianne Moore, John Turturro, Michael Cera, Caren Pistorius
Pays
Chili - États-Unis