Coiffeur rétro rock ‘n’ roll, William Seyssel, alias Mister Ducktail, est l’un de nos talentueux petits frenchies expatriés à Londres. Son secret ? Il se trouve dans ses dix doigts et ce qu’il peut en faire. Après plusieurs années de métier à Toulouse, il a senti le vent venir et a suivi la route du succès jusqu’au cœur de Carnaby street, quartier branché de la capitale où il a ouvert son salon, Something hell’s. Au côté de sa femme, Miss Betty chargée des coiffures dames, il vous plonge, le temps d’une coupe, au cœur des années 50. Si le petit salon situé au deuxième étage d’un complexe commercial n’est pas facile d’accès, cela n’a pas d’importance, car on ne rentre pas chez Mister Ducktail par hasard. Sympathique, professionnel, passionné, il ne mâche pas ses mots, sait magner les ciseaux et graisse les nostalgiques de la banane, pour un résultat à faire pâlir d’envie les plus grandes icônes rockabilly.
Trois messieurs attendent déjà l’ouverture des portes. Le plus jeune a besoin d’un rafraîchissement. On détecte chez le plus âgé les vestiges d’une coupe 50’s. En revanche, pas la moindre trace de graisse ou de banane chez le troisième, c’est un nouveau. Nina, apprentie au salon, style fifties, lance le son rock comme il était à ses débuts, prépare les bacs, expose les articles de la boutique, range et arrange en attendant l’arrivée des maîtres de la coiffure rétro. Le salon est décoré selon le thème bien sûr, velours rouge, imprimés léopards, pin-ups et icônes fifties en photo, fauteuils rétro, radio ancienne, paravent et fleurs hawaïennes, tout y est. Au mur, Brigitte Bardot, Elvis et Humphrey Bogart se font de l’œil, des affiches de films dont The Party Crashers sont disposées ça et là. L’ambiance ne trompe pas, réfractaires au vintage s’abstenir !
Une femme arrive, la cinquantaine, aux antipodes du style rock ‘n’ roll. C’est un pari réussi pour William qui attire une clientèle mixte, tous publics. Il avait pour but d’ouvrir un salon rock ‘n’ roll sans attirer uniquement des fans du genre, pari réussi ! Mister Ducktail et Miss Betty font leur entrée. C’est la deuxième interview de la journée pour ce coiffeur pas comme les autres qui se souvient de débuts difficiles. « En France, à Toulouse, le journal local a mis quatre ans à venir dans mon salon, alors qu’un charcutier ouvrait et avait un quart de page », s’étonne-t-il. L’ironie, pour William, 45 ans, c’est que la presse a commencé à parler de lui au moment où son commerce n’avait plus besoin de coups de pouce médiatiques.
A Londres, la tendance vintage n’a jamais été aussi forte
Le nom Mister Ducktail lui est venu en écoutant une chanson rock des années 50 (le terme désigne également en anglais la coiffure banane). C’était au départ le nom de son salon de coiffure en France, puis très vite, les gens qui le connaissaient, de réputation dans les festivals rockabilly, ont commencé à le baptiser de la sorte. Celui qu’on appelle aussi the MotherKutter est un véritable rockabilly. Il commence à coiffer à l’âge de 16 ans, « je coupais les cheveux de mes potes gratuitement à l’époque ». Plus tard, il fait une formation. « J’ai appris à coiffer rock ‘n’ roll tout seul mais avec ce qu’on m’a donné comme outil pour apprendre la coiffure traditionnelle ». Son premier salon, il le trouve par hasard. « Je m’étais pris la tête avec mon patron, j’avais envie de me casser. Et quelqu’un m’a parlé de ce vieux salon tout pourri qui venait de fermer. Je suis allé voir, c’était bien crade, mais quand j’ai regardé à l’intérieur et que j’ai vu ces quatre fauteuils des années 50, je suis tombé amoureux. »
Lorsqu’il vient s’installer à Londres, ce n’est pas sur un coup de tête. « Ca faisait quinze ans qu’on venait ici pour des festivals de rock, je sentais qu’il y avait un potentiel avec les rockabilly et les punk rockers. » Son instinct s’avère juste, là où en France la mode rétro peine à faire son trou, à Londres, la tendance vintage n’a jamais été aussi forte, touchant rapidement toutes les générations. Il réussi à décoller en un an, grâce à sa petite réputation. Chaque année depuis huit ans, lui et Betty participent à Rhythm Riot, un grand festival de rock anglais où ils sont invités à coiffer les festivaliers, sur place. Dans le milieu, le bouche à oreille fonctionne. La réussite de son commerce il la doit donc à sa femme, leurs talents confondus mais aussi à l’efficacité des fans qui postent des photos et commentaires enthousiastes sur internet. Pour William, pas besoin de stratégie marketing pour réussir, « c’est facile d’avoir un beau site, et de dire que tu es le meilleur professionnel du monde. Moi je montre mes coupes, si un mec les voit sur MySpace et qu’ils les trouvent cool, il viendra c’est sûr ».
Ici, surtout pas de gel, on travaille avec de la graisse !
Cet engouement vintage, William lui doit certainement une bonne partie de son succès. Malgré tout, il méprise un peu ce phénomène de mode. « Quand un truc devient à la mode, c’est un peu chiant car tu en as beaucoup qui commencent à faire de la merde ». Son problème, c’est que toute tendance vient aussi avec son lot d’imposteurs. « Ici, tu te bombardes coiffeur comme tu veux, alors il y a des nanas qui vont te faire deux rolls rétro et se prendre pour des spécialistes, mais par contre elles ne savent pas couper ». Les fausses pin-ups et l’amateurisme, William n’aime pas ça. « Parfois, il y a des idiotes qui nous demandent si on coupe les cheveux. Bah ouais ! Evidemment qu’on coupe les cheveux, c’est notre métier, on a une formation. »
William passe environ 35 minutes par tête, il structure sa coupe de manière à ce que ses clients arrivent à refaire le style, puis il passe l’autre moitié du temps à travailler les volumes avec de la cire capillaire qu’il appelle graisse, et ne lui parlez pas de gel ! « Je montre aux débutants comment faire ensuite pour appliquer la graisse et retrouver les bons volumes. » Pour les filles c’est pareil, ce qui importe c’est la coupe, le coiffage est éphémère. Si le style victory rolls et les chignons tiennent relativement bien, en moyenne trois jours, les crans à la Rita Hayworth en revanche seront effacés le lendemain. Une règle pour les filles tout de même, quand on vient se faire coiffer comme une pin-up, il faut agir comme telle. « Il y a beaucoup de nanas qui viennent se faire un nouveau style et quand Betty leur montre, elles ne peuvent plus se tenir, elles touchent leur cheveux ou se secouent la tête comme des lionnes. C’est tout lissé, tout cranté, il ne faut pas y toucher. Il faut se comporter comme une pin-up ! »
Bien qu’il ait construit son commerce et sa réputation sans l’aide d’un site internet, Mister Ducktail a quand même décidé d’ouvrir sa boutique en ligne et de commercialiser sa gamme de produits. C’est une entreprise française qui est venue à Londres avec l’idée de commercialiser sa graisse. Il vend aussi son shampooing à base de microbilles de silice pour retirer la graisse, des t-shirts et une bague en argent massif à son effigie et il prévoit même de se développer. Il parle d’agrandir son salon et de louer un autre local, plus tard, peut-être après l’heureux événement puisque Miss Betty est enceinte. En attendant, il lui reste du pain sur la planche et de nombreuses têtes à graisser, les trois rockers matinaux s’impatientent, Mister Ducktail reprend alors du ciseau pour opérer sa magie et remonter le temps.
Le petit coiffeur toulousain, ignoré à ses débuts, a fait de la route et gère aujourd’hui un business lucratif, prouvant une fois de plus qu’il est possible de commencer sans rien. « Au début, je n’avais pas d’argent. En France, ça avait du mal à se développer, maintenant je suis obligé de refuser des clients. » Idée originale et belle performance pour ce coiffeur au cœur de rocker qui avec son franc-parler, sa générosité et son professionnalisme a su se créer une communauté de réguliers. Alors si l’envie vous prenait d’aller vous faire graisser, vous savez où le trouver.