« The Happy Prince », crépuscule d’un dandy déchu

« The Happy Prince », crépuscule d’un dandy déchu

« The Happy Prince », crépuscule d’un dandy déchu

« The Happy Prince », crépuscule d’un dandy déchu

Au cinéma le 19 décembre 2018

Autrefois adulé, Oscar Wilde se retrouve ruiné et mis au ban de la société anglaise suite au scandale de Queensberry. Exilé à Paris, il ne survivra que quelques années au choc de sa condamnation pour homosexualité. Dans The Happy Prince, Rupert Everett incarne avec brio le célèbre écrivain lors de ses derniers jours, loin de l'image du dandy flamboyant. Une œuvre poétique et sincère où pointe le désespoir de l'esthète sous le vernis pudique de sa légendaire mise à distance ironique.

Dandy et écrivain de génie, Oscar Wilde (Rupert Everett) compte parmi les personnalités les plus en vue de la société londonienne en cette fin de XIXème siècle. Toutefois, son homosexualité — jugée scandaleuse pour l’époque — fait grincer des dents et sa relation assumée aux yeux de tous avec son amant Bosie —  Lord Alfred Douglas (Colin Morgan) — lui vaut un affront public de la part du Marquis de Queensberry, père de ce dernier.

Après une série de procès retentissants, le poète est condamné pour homosexualité à deux ans de travaux forcés et envoyé à la prison de Reading dont il sortira totalement ruiné et malade. Oscar Wilde décide alors de s’exiler à Paris pour fuir cette société anglaise qui désormais le rejette. Aux derniers instants de sa vie, les souvenirs l’envahissent alors qu’il agonise dans une chambre d’hôtel miteuse.

The Happy Prince - Photo © Wilhelm Moser

Léché, lâché, lynché

Premier film de l’acteur anglais Rupert Everett en tant que réalisateur, ce biopic sur les dernières années de la vie d’Oscar Wilde — de sa sortie de prison à sa mort trois ans plus tard, en 1900 — a mis près de dix ans à se concrétiser. Un délai nécessaire pour convaincre, trouver les investisseurs de ce qui deviendra une coproduction internationale et s’assurer de la disponibilité des acteurs. Rupert Everett s’était déjà confronté aux œuvres du célèbre écrivain irlandais en jouant au cinéma dans deux adaptations de l’auteur : Un mari idéal (1999) et L’importance d’être constant (2002). Dans ce dernier film, il partage d’ailleurs l’affiche avec Colin Firth, un ami de longue date qui s’est avéré un soutien indéfectible dans ce projet de biopic.

Il est assez symbolique que Colin Firth incarne Reggie Turner dans The Happy Prince, un proche fidèle de Wilde qui l’accompagne jusqu’à son dernier souffle. Mais c’est probablement l’incarnation du dandy dans The Judas Kiss — pièce de David Hare jouée à Londres évoquant deux périodes critiques dans la vie d’Oscar Wilde — qui a permis au projet de voir le jour. Plébiscité pour sa performance au théâtre, Rupert Everett incarne cette fois-ci sur grand écran l’écrivain de génie lors de sa déchéance survenue après son emprisonnement : une période méconnue et rarement évoquée aussi minutieusement. La sincérité qui ce dégage de cette première réalisation est certainement due — au-delà de l’admiration pour le poète — à une certaine proximité avec celui-ci.

The Happy Prince - Photo © Wilhelm Moser

Les temps ont — bien heureusement — changé mais l’acteur pense avoir été écarté de certains rôles importants par Hollywood depuis son coming out en 1989. Une mise à l’écart difficile à prouver mais qui expliquerait toutefois que son nom soit instinctivement associé à la voix du prince charmant dans la saga Shrek et à une apparition dans la série Black Mirror, parmi d’autres rôles de second plan. Toute proportion gardée avec le tragique destin de l’écrivain, Rupert Everett pense avoir vécu le retournement de l’industrie cinématographique à son encontre comme Wilde a subi le mépris d’une société anglaise venue littéralement lui cracher dessus une fois sa condamnation prononcée. Sa remarquable prestation dans The Happy Prince vient contrebalancer une carrière récente pleine de frustrations et avare en premiers rôles. Le vieux proverbe s’applique ici parfaitement : on n’est jamais si bien servi que par soi-même.

Le rire désespéré

Moins évanescent que Last days (2005), le film de Gus Van Sant sur les derniers instants de Kurt Cobain — autre rock star de son époque —, le biopic de Rupert Everett possède une atmosphère crépusculaire similaire qui interroge l’artiste génial livré à lui-même. Loin de l’image du dandy flamboyant entré dans l’imaginaire collectif, Wilde est ici brisé, humilié par une condamnation pour « grave immoralité » qui lui a tout confisqué : son argent, sa famille et la reconnaissance.

L’homme est toujours prompt à distribuer ses bons mots d’esprit mais ceux-ci semblent désormais plus acides, pour ne pas dire désespérés. En exil, le détachement et l’ironie ont pris une saveur particulière : le ton est moins serein, plus acide que lorsque le tout Londres ne jurait que par lui. Le retour de son cher Bosie près de lui puis, après son ultime départ, la proximité de jeunes prostitués parisiens sont les symptômes d’une passion toujours vive mais également d’une fuite en avant.

The Happy Prince - Photo © Wilhelm Moser

Oscar Wilde semble se complaire dans le plaisir de l’instant présent pour mieux conjurer la solitude tout en espérant retarder l’inévitable. Ses ultimes écrits sont d’ailleurs le miroir de ce changement d’esprit : La Ballade de la geôle de Reading publiée en 1898 est un long poème sur l’expérience épouvante de son incarcération tandis que De Profundis est une lettre accusatrice destinée à Alfred Douglas. Une vengeance épistolaire désespérée écrite pendant sa détention qui ne sera publiée qu’après sa mort. L’humeur de ces deux textes est alors très éloignée des pièces de théâtres comiques qui ont fait le succès de leur auteur.

De l’importance d’être inconstant

Sans le sou et malade, Oscar Wilde n’arrive pas à renouer avec sa femme Constance (Emily Watson). Apprenant qu’il fréquente de nouveau Alfred Douglas, elle lui interdit de revoir ses deux garçons Vyvyan et Cyril et lui coupe finalement les vivres. En exil, l’auteur déchu se déplace — de Dieppe à Naples en passant par Paris — mais ne peut échapper à ses propres démons. Même Robbie Ross (Edwin Thomas), ami et amant dévoué, ne semble plus en mesure de protéger le génial écrivain de ses pires excès. L’auteur du Portrait de Dorian Gray reste sur ce point fidèle à sa théorie concernant l’art plaçant l’Esthétique au-dessus de l’Éthique. Une prise de position qui avait choqué une partie de la société anglaise avant que ne soit dévoilée au grand jour son homosexualité.

The Happy Prince - Photo © Wilhelm Moser

Dans ce biopic où le temps semble comme suspendu, Rupert Everett incarne un artiste fatigué, analysant sa chute avec un mélange ironique de second degré et de désespoir. Le conte du Prince Heureux auquel le film emprunte son titre sert de fil rouge touchant à cette destinée tragique. Tel le revêtement d’or qui couvre le prince dans le conte, la vie de Wilde semble peu à peu le quitter pendant ces quelques années d’exil. « Soit c’est le papier peint qui disparaît, soit c’est moi… » aurait déclaré l’auteur alors au plus mal à l’âge de quarante-six ans avant de rendre l’âme à qui a bien voulu la récupérer. Qu’il soit assuré de sa victoire finale sur le morceau de papier : non seulement il n’a pas été oublié mais ce biopic vient ajouter une pierre, plus sombre mais tout aussi importante, à l’édifice de sa mémoire.

The Happy Prince est un bel hommage rendu par Rupert Everett au célèbre écrivain, souvent réduit à quelques aphorismes cités de façon approximative et une attitude de dandy superficiel. Une œuvre tendre et tragique qui autopsie la chute d’une idole avec le détachement moqueur cher au poète et dénonce l’hypocrisie d’une société prompte à brûler ce qu’elle portait aux nues la veille.

> The Happy Prince, réalisé par Rupert Everett, Allemagne – Belgique – Royaume-Uni – Italie, 2018 (1h45)

The Happy Prince

Date de sortie
19 décembre 2018
Durée
1h45
Réalisé par
Rupert Everett
Avec
Rupert Everett, Emily Watson, Colin Morgan, Colin Firth, Edwin Thomas
Pays
Allemagne - Belgique - Royaume-Uni - Italie