« Un havre de paix », frères d’armes

« Un havre de paix », frères d’armes

« Un havre de paix », frères d’armes

« Un havre de paix », frères d’armes

Au cinéma le

Trois frères se retrouvent dans le kibboutz de leur enfance pour l'enterrement de leur père. Avishaï, le plus jeune, doit partir deux jours plus tard pour son premier conflit. Il est encouragé par Itaï alors que Yoav souhaite le dissuader de prendre les armes. Porté par le naturel d'une véritable fratrie, Un havre de paix interroge habilement le sens du devoir et le taux de testostérone dans une société israélienne sous la pression d'une violence omniprésente.

Réunis autour du cercueil de leur père pour honorer ses dernières volontés, trois frères se retrouvent dans le kibboutz de leur enfance. Avishaï (Micha Rozenkier), le plus jeune de la fratrie, est particulièrement anxieux : dans deux jours, il doit se rendre à la frontière libanaise où un nouveau conflit vient d’éclater. Comme l’on fait ses deux frères avant lui, il doit prendre les armes pour protéger son pays. Avishaï sollicite les conseils de ses frères dont les avis sont diamétralement opposés. Fidèle à la tradition, Itaï (Yona Rozenkier) encourage Avishaï et souhaite l’endurcir avant son départ alors que Yoav (Yoel Rozenkier) fait tout pour le dissuader de partir au front. Cette situation explosive va réveiller les blessures secrètes et les souvenirs d’enfance de la fratrie en quête d’un nouvel équilibre depuis la disparition du patriarche.

Un havre de paix © Gaudeamus Productions - Pyramide Distribution

Les trois frères

Pour son premier long métrage, Yona Rozenkier a puisé l’inspiration dans sa propre expérience et livre un film très personnel dans lequel ses propres frères lui donne la réplique. Fils d’une volontaire suisse venue vivre au kibboutz Yehiam au nord d’Israël et d’un survivant français de l’Holocauste, le réalisateur a été fermier avec de quitter la communauté pour faire des études de cinéma. En 2006, son petit frère a passé 24 heures au sein du kibboutz avant de rejoindre le front libanais. Son frère aîné était également présent. C’est cette situation que Yona Rozenkier rejoue dans Un havre de paix aux côtés de ses propres frères pour reconstituer à l’écran une fratrie plus vraie que nature. Les rôles sont redistribués — Yona joue Itaï, son grand frère, et Yoel interprète un personnage proche du cinéaste — mais ce décalage dans l’incarnation ne vient pas troubler l’alchimie évidente qui se dégage des prestations. Yona Rozenkier s’appuie sur la complicité fraternelle pour livrer un film qui, sans être documentaire, invoque l’intime pour interroger les liens entre la notion de famille et de patrie, scellés par le poids d’une tradition trop lourd à porter. Le naturel qui se dégage des prestations vient renforcer un propos qui met habilement en cause, à travers le prisme familial, la notion d’un devoir qui se paie trop souvent au prix du sang.

Un havre de paix © Gaudeamus Productions - Pyramide Distribution

La guerre sans fin

Avec le départ imminent du jeune Avishaï pour la frontière libanaise, Yona Rozenkier dénonce la pression constante et insoutenable d’une nation en guerre perpétuelle. Avec ces « petites guerres » selon le terme du cinéaste qui éclatent environ tous les deux ans, la violence est omniprésente dans la société israélienne. Le jeune frère doit partir au combat comme ses aînés avant lui, appelé par une sorte de malédiction qui semble sans fin. Un à un, les membres de la fratrie s’exécutent et se plient à cette injonction du devoir pour la patrie. Il faut être toujours prêt à se battre, prêt à mourir ou à voir disparaître ses proches. C’est ainsi. Mais Yoav s’oppose à cette cette fatalité morbide et ose remettre en cause le sens de ces conflits interminables. Avec ce combat fraternel, le réalisateur dénonce également la pression machiste qui plane sur l’ensemble de la société israélienne. Il met en lumière la fabrique de parfaits petits soldats à travers une injonction de masculinité se transmettant de père en fils qu’il estime de plus en plus nocive. Au bar, Yoav pense d’ailleurs avoir trouvé le coupable. Tout ça c’est de ta faute lance-t-il, amer, à une photo de Clint Eastwood exhibant fièrement ses revolvers dans son costume de cow-boy.

Un havre de paix © Gaudeamus Productions - Pyramide Distribution

Le choix désarme

Ce n’est pas un hasard si l’affrontement entre les trois frères éclate alors que le père vient de disparaître. Dans ce moment de flottement que représente l’enterrement du patriarche juste avant le départ du dernier fils, Yoav et Itaï, tous deux revenus de la guerre avec des symptômes post-traumatiques, incarnent deux visions radicalement opposés face à ce conflit protéiforme qui ne semble jamais finir. Si Yoav a décidé de ne plus jamais se battre et refuse toute violence, Itaï ne peut remettre en cause ce devoir envers son pays. Cet affrontement au milieu duquel se trouve leur jeune frère interroge sur la politique d’Israël, pays qui est selon le cinéaste sous le « poids terrible de la culpabilité et du doute ». Vue du kibboutz, cette guerre interminable est invisible. Les habitants de la communauté entendent les hélicoptères et les détonations au loin mais les dégâts ne sont pas concrets. Comme pour mieux exorciser le danger, l’horreur reste cachée jusqu’au moment d’aller s’y confronter. Pour potentiellement ne pas en revenir. Face à cette décision, Yoav et Itaï incarnent une notion bien différente du courage : adhérer à la tradition par souci de loyauté ou prendre un chemin différent ? Une question que le premier long métrage de Yona Rozenkier pose au niveau personnel en pensant évidemment à ses répercussions au niveau national.              

En jouant pleinement la carte du film familial, Un havre de paix charme par son naturel rafraîchissant malgré un sujet pesant. Sa réflexion sur la perpétuation d’un virilisme guerrier excité par le sens du devoir envers la mère partie rappelle que la guerre se nourrit de soldats. Des frères d’armes sacrifiés laissant trop souvent des frères désarmés. 

> Un havre de paix (Hatzlila), réalisé par Yona Rozenkier, Israël, 2018 (1h31)

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