« Her Smell », psyché rock

« Her Smell », psyché rock

« Her Smell », psyché rock

« Her Smell », psyché rock

Au cinéma le 17 juillet 2019

Superstar du rock sur le déclin, Becky Something fout en l'air par ses excès une tournée nationale de son groupe Something She et se retrouve confrontée à ses démons intérieurs. Porté par la prestation intense d'Elisabeth Moss, Her Smell autopsie avec honnêteté la schizophrénie de son héroïne entre fureur toxique et désespoir apathique. Un trip résolument punk dans les méandres d'un vide existentiel aussi éprouvant que touchant.

Dans les années 90, Rebecca alias Becky Something (Elisabeth Moss) remplissait les stades avec son groupe de punk féminin Something She. Mais les temps changent : le groupe a moins de succès et les crises de plus en plus virulentes de la chanteuse accro à toutes sortes de substances finissent par faire dérailler la tournée nationale du groupe. Fatiguées de son comportement tyrannique, la bassiste Mari (Agyness Deyn) et la batteuse Ali (Gayle Rankin) quittent le groupe tandis que « Dirtbag » Danny (Dan Stevens), l’ex de Becky, est désemparé devant le comportement instable de son ancienne compagne qui ne semble plus capable s’occuper de la fille qu’ils ont eu ensemble.

Lorsque Howard (Eric Stoltz), son manager, lui fait rencontrer les Akergirls, ses nouvelles petites protégées, Becky saute sur l’occasion pour vampiriser le groupe débutant. Auprès de Crassy (Cara Delevingne), Roxie (Ashley Benson) et Dottie (Dylan Gelula), la chanteuse en perdition pense pouvoir retrouver le chemin du succès. Mais la tragédie de Becky est en elle et personne dans son entourage n’a le pouvoir de la sauver.

Her Smell © photo Don Stahl

Le bruit de la fureur

Pour incarner Becky, Alex Ross Perry a de nouveau fait appel à Elisabeth Moss qui a déjà travaillé à ses côtés pour ses films Listen Up Philip (2014) et Queen of Earth (2015). Un choix judicieux car l’énergie du film — flirtant souvent avec l’excès comme Becky flirte avec l’overdose — repose essentiellement sur la prestation habitée de l’actrice notamment remarquée dans les séries À la maison blanche (1999 – 2006), Mad Men (2007 – 2014) et plus récemment The Handmaid’s Tale (2017 -) ainsi que dans le fascinant Us (2019) de Jordan Peele — lire notre article — pour sa carrière cinématographique.

Incontrôlable lors de ses crises, Becky se donne en spectacle : d’un moment à l’autre, les signes d’affection peuvent se transformer en menaces dès que les choses ne vont pas dans son sens. Et difficile de comprendre le « sens » que Becky souhaite donner à sa vie en dehors de la scène. Prenant à partie les membres de son groupe ou son manager, Becky se lance dans des grandes tirades décousues laissant son entourage abasourdi et inquiet. Autour de la tornade imprévisible qu’est Becky, Alex Ross Perry crée une atmosphère anxiogène pour mieux enfermer le spectateur. Que ça soit dans les loges d’une tournée ou dans les couloirs d’un studio d’enregistrement, le réalisateur promène sa caméra dans des espaces confinés, véritables labyrinthes symbolisant la désordre mental de sa rockeuse à la dérive.

Filmées caméra à l’épaule, d’une traite comme des actes au théâtre — le film en compte cinq —, ces scènes chaotiques sont accompagnées par la musique du fidèle compositeur Keegan DeWitt qui a reçu du cinéaste la commande d’une musique évoquant une « crise de panique ». Et le résultat, volontairement étouffant, est réussi. Aussi perturbants pour le spectateur que pour les proches de la chanteuse, ces pétages de plomb s’étirent en longueur pour mieux en dévoiler tout le malaise et la solitude d’une artiste angoissée de perdre son aura de célébrité.

Her Smell © photo Don Stahl

Rester au top

Incapable d’affronter en face son instabilité, Becky tente de s’accrocher à ce succès qui lui échappe comme à une bouée de sauvetage avec l’aide de produits qui ne font que l’isoler davantage. Her Smell débute alors que la carrière du groupe autrefois célèbre est déjà sur une pente descendante.

La gloire passée — celle des disques d’or et du succès insouciant — est rapidement évacuée par quelques vidéos souvenirs, autant de vestiges d’une période faste à présent révolue. Becky cherche à échapper à tout prix cette réalité et elle est prête pour cela à se séparer des membres historiques de son groupe pour mieux surfer sur l’intérêt suscité par le nouveau groupe repéré par son manager.

Avec ce film torturé, Alex Ross Perry montre avec efficacité le vertige du vide ressenti par cette star isolée confrontée à un silence assourdissant lorsque Becky se retrouve — au sens figuré comme au sens propre — face à elle-même dans le miroir de sa loge après le dernier riff de guitare. Toute cette énergie déployée pour « jouer Becky » n’est en fin de compte qu’un subterfuge désespéré pour ne surtout pas être Rebecca. Au-delà des outrances de Becky et des scènes de chaos, Her Smell prend le temps d’explorer un immense gâchis résultant d’un vide existentiel difficilement comblé par la gloire.

Her Smell © photo Don Stahl

After show

Pour créer le groupe punk Something She, Alex Ross Perry s’est inspiré de groupes résolument féministes comme les Riot grrrl, Bikini Kill ou encore Bratmobile. Slash et Axl Rose du groupe Guns N’ Roses ont également influencé le cinéaste dans l’écriture du personnage de Becky qui fait également penser à Courtney Love. Cependant, le cœur du film ne porte pas plus de message féministe qu’il n’est une réflexion sur le monde de la musique. Et encore moins un biopic sur un artiste spécifique. En assumant de prendre ses distances avec une star réelle, le cinéaste recentre habilement son propos sur les excès de Becky qui tente, tant bien que mal, d’étouffer un désespoir latent.

Derrière sa confiance extrême qui confine à l’insolence et la pousse à maltraiter son entourage, la rockeuse cache une terrible insécurité qu’elle n’arrive pas à maîtriser. Dans la dernière partie du film — la plus touchante et la plus convaincante —, Becky redevient Rebecca et contemple les conséquences d’une vie passée à fuir. Débarrassée de sa tenue de scène et de ses addictions, elle semble plus apaisée mais fébrile, toujours menacée par une rechute potentielle devant le sentiment d’échec qui la submerge. Le cinéaste refuse à Becky cette « happy end » qui célèbre habituellement la victoire apaisée de la confiance en soi dans le combat schizophrénique entre la star projetée et l’individu intime.

Entre chaos bruyant et silence contemplatif, Her Smell dresse le portrait touchant d’une star qui s’est délibérément perdue pour fuir son propre vide intérieur. Magnifié par la prestation d’Elisabeth Moss entre rage et désespoir, ce trip schizophrène a l’honnêteté de ne pas fournir une réponse rassurante à la quête intérieure de son héroïne. Sur scène ou en dehors, la lutte de Becky contre elle-même continue inlassablement et ça c’est une réalité véritablement punk.

> Her Smell, réalisé par Alex Ross Perry, États-Unis, 2018 (2h14)

Her Smell

Date de sortie
17 juillet 2019
Durée
2h14
Réalisé par
Alex Ross Perry
Avec
Elisabeth Moss, Agyness Deyn, Gayle Rankin, Dan Stevens, Cara Delevingne, Ashley Benson, Dylan Gelul, Eric Stoltz
Pays
États-Unis