« Les Hirondelles de Kaboul », espoir esquissé

« Les Hirondelles de Kaboul », espoir esquissé

« Les Hirondelles de Kaboul », espoir esquissé

« Les Hirondelles de Kaboul », espoir esquissé

Au cinéma le 4 septembre 2019

Été 1998, Kaboul est en ruines. Jeune couple fusionnel, Mohsen et Zunaira se soutiennent face à la menace omniprésente des talibans mais un geste insensé du jeune homme va tout faire basculer. Servi par un univers graphique très réussi, Les Hirondelles de Kaboul touche par son évocation poétique de l'espoir fragile mais déterminé de ses personnages face aux ténèbres.

Depuis l’arrivée des talibans à Kaboul, Mohsen (Swann Arlaud) et Zunaira (Zita Hanrot), couple très amoureux, tentent de survivre en respectant à la lettre — du moins en public — les consignes imposés par les fondamentalistes islamistes. Malgré la violence et la misère qui plombent leur quotidien, les deux amants veulent croire en un avenir lumineux et acceptent pour le moment de courber l’échine pour ne pas attirer l’attention. Mais un évènement inattendu va subitement bouleverser leurs vies. Alors qu’il assiste à la lapidation d’une femme dans la rue, Mohsen commet l’irréparable : il s’empare d’une pierre et participe au massacre. De retour auprès de sa compagne, le jeune homme lui confie son attitude impardonnable. Une dispute éclate entre les deux amoureux et Zunaira se retrouve emprisonnée. La jeune femme est placée sous la responsabilité d’un garde nommé Atiq (Simon Abkarian). Peu à peu, le geôlier, préoccupé par l’état de santé de sa femme Mussarat (Hiam Abbass) très malade, va s’intéresser à l’histoire de cette jeune prisonnière condamnée à l’exécution.

Les Hirondelles de Kaboul © Les Armateurs

Adaptation dessinée

Débutée en 2012, l’adaptation du best seller Les Hirondelles de Kaboul publié en 2002 par Yasmina Khadra s’est déroulée avec l’accord bienveillant de l’auteur mais sans son implication dans le projet. Ce processus a laissé les mains libres à la co-réalisatrice Zabou Breitman pour adapter à sa guise le roman. L’histoire se déroule en 1998 alors que les talibans viennent d’arriver à Kaboul — soit trois années plus tôt que dans le livre — et certains aspects du récit sont développés. Ainsi, Zabou Breitman fait de Zunaira une professeur de dessin qui se dessine nue sur les murs de son foyer, comme un pied de nez sensuel adressé aux talibans qui interdisent la représentation des corps humains.

Pour donner vie à cette histoire, Zabou Breitman s’est rapprochée du studio d’animation Les Armateurs, producteur notamment des jolies réussites Les Triplettes de Belleville (2003) et Ernest et Célestine (2012). Le studio a organisé un concours de graphistes pour trouver les artistes chargés de donner vie à cette histoire entre ombre et lumière. C’est au final Eléa Gobbé-Mévellec, animatrice notamment sur Avril et le monde truqué (2015) — lire notre chronique —, qui a été choisie pour illustrer cette capitale afghane étouffée par le fondamentalisme religieux des talibans. L’association entre les deux femmes offre un résultat qui combine habilement réalisme et onirisme, chacune ayant joué un rôle très précis dans la construction de ce film d’animation nous plongeant dans l’enfer d’une vie sous tension, réglementée par le fanatisme.

Les Hirondelles de Kaboul © Les Armateurs

Réalisme poétique

Très attachées au réalisme du récit, Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec ont effectué de nombreuses recherches sur la situation de Kaboul à cette période. Ainsi, la chanson Burka Blue que Zunaira écoute chez elle et qui provoque l’inquiétude de sa voisine au début du film est l’œuvre du groupe Burka Band. Devenu un symbole de défiance face aux talibans, cette formation de garage punk est constituée de trois afghanes qui jouent en burka. Une volonté de réalisme qui concerne également le jeu des acteurs qui ont interprété leur rôle en costumes et avec des accessoires — y compris des kalachnikovs — devant des caméras témoins enregistrant leurs performances.

Zita Hanrot a ainsi joué ses répliques sous un tchadri dans la scène où Zunaira et Mohsen se retrouvent ensemble dans la rue. Les images de ces sessions d’enregistrement des voix ont ensuite été utilisées par l’équipe d’animation pour coller au plus près à l’interprétation des acteurs, sans pour autant chercher un réalisme absolu. C’est d’ailleurs ce qui séduit dans le travail d’Eléa Gobbé-Mévellec : l’univers graphique dépeint une réalité crédible mais le trait de l’animation transcende un naturalisme qui pourrait s’avérer réducteur et surtout trop brutal. Dévastée par le conflit, Kaboul apparaît comme une ville aux contours fuyants : en reconstruction sous le joug des talibans, la capitale étouffe concrètement sous les débris et moralement sous les injonctions des fondamentalistes. Une sensation évoquée par ces rues poussiéreuses qui semblent vouloir se dérober au regard du spectateur. La beauté formelle de l’aquarelle avec ses limites évanescentes renforce cette idée d’une ville en suspension, comme si la vie s’était arrêtée le temps de ce cauchemar éveillé.

Les Hirondelles de Kaboul © Les Armateurs

Recherche humanité désespérément

Grâce au filtre du dessin permettant une distance avec une violence difficilement supportable par ailleurs, Les Hirondelles de Kaboul évoque avec justesse ce fol espoir qui permet, malgré tout, d’avancer dans l’obscurité. Mohsen et Zunaira fantasment ainsi sur cette école secrète — évidemment interdite par les talibans — qui leur permettrait d’éduquer les enfants en dehors des préceptes religieux en toute liberté. Car c’est ainsi que le couple compte diffuser l’espoir : à travers une nouvelle génération, quitte à devoir pour cela prendre des risques et mettre en danger sa propre vie. À défaut d’un présent supportable, les deux amoureux tentent de se projeter dans un avenir qui a des accents nostalgiques. Dans la rue, le jeune couple se retrouve ainsi devant une librairie dévastée, triste symbole d’un monde révolu où la culture était encore accessible. Une autre scène montre également la sombre transition de Kaboul. On y voit des femmes habillées à l’occidentale passer devant un cinéma avant la guerre puis leurs corps se couvrent du tchadri désormais obligatoire alors que la séquence revient au présent. Un plan qui sonne comme un avertissement glaçant sur la rapidité avec laquelle une société peut basculer.

Intégré dans le système, Atiq est un personnage qui espére également. Contrairement à Mohsen et Zunaira, il ne souhaite pas la fin des talibans. D’ailleurs, il est probable qu’il n’y ait jamais pensé. Son espoir est plus personnel et se concentre sur la guérison de sa femme Mussarat, de plus en plus malade. Dans ce contexte, sa rencontre avec Zunaira va le troubler : l’amour de la jeune femme pour son amant disparu le touche. Alors que Mohsen a basculé le temps d’un instant dans l’infamie, le garde semble faire le chemin inverse et étant concerné par le destin de Zunaira. En complexifiant un propos qui aurait pu être trop manichéen, ces destins qui se croisent interrogent sur les étincelles d’humanité survivant dans une société autoritaire, derniers remparts à la folie ambiante.

Avec son univers graphique en suspension entre dure réalité et poésie éthérée, Les Hirondelles de Kaboul nous plonge dans un présent infernal aux côtés de rêveurs imaginant un avenir lumineux. Et cela donne envie de croire, à l’image de Zunaira et Mohsen, que du sang coagulant dans la poussière renaîtra un jour l’espoir.

> Les Hirondelles de Kaboul réalisé par Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec, France, 2019 (1h21)

Les Hirondelles de Kaboul

Date de sortie
4 septembre 2019
Durée
1h21
Réalisé par
Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec
Avec
Swann Arlaud, Zita Hanrot, Simon Abkarian, Hiam Abbass
Pays
France