Pour Tara (Mia McKenna-Bruce), Skye (Lara Peake) et Em (Enva Lewis), le lycée est définitivement terminé. Pour célébrer l’évènement, les trois adolescentes s’offrent leurs premières vacances entre copines dans une station méditerranéenne ultra fréquentée. Le trio compte bien profiter de toutes les opportunités de faire la fête tous les soirs, sans aucune modération.
Pour les accompagner dans leurs excès, elles invitent les anglais de l’immeuble d’à côté rencontrés lors de leur arrivée. Pour la jeune Tara, ce voyage est l’occasion de franchir un cap et de perdre cette virginité au cœur des discussions avec ses amies. Prise dans le tourbillon de la frénésie collective, Tara se sent prête. Mais est-elle réellement libre d’accepter ou refuser chaque expérience qui se présentera à elle ?
Suck it and see
Étudiante en cinématographie et documentaire à la National Film and Television School de Londres, Molly Manning Walker a rapidement bifurqué vers la fiction qui lui offrait de meilleures opportunités. La cinéaste qui a récemment travaillé comme directrice de la photographie sur Scrapper (2023) de Charlotte Regan signe avec How to have sex un premier long métrage d’une grande justesse inspiré par un regard rétrospectif sur sa propre adolescence.
Invitée à un mariage à Ibiza, Molly Manning Walker croise des amis de jeunesse. Ces retrouvailles sont l’occasion de se remémorer leurs premières vacances ensemble lorsqu’ils étaient adolescents. Rapidement, une histoire de fellation en public sur une scène revient à la surface. Tous ont été marqués par ce moment de leurs vacances, surtout les femmes du groupe. Avec le recul, la cinéaste prend conscience de l’impact de cette scène sur sa vie sexuelle ultérieure.
Under pressure
Reprise dans le film, cette séquence d’un concours de fellation publique sur scène constitue un moment de bascule pour Tara. Au-delà de l’animation festive d’un goût très douteux, la scène marque une rupture pour Tara qui voit la concrétisation brutale d’une pression planant depuis le début de ce voyage entre amies. Cette sexualité mise en scène devient alors véritablement oppressante.
Moment clé du film, ce jeu à connotation explicitement sexuelle incarne de façon la plus intrusive l’influence externe de la société qui vient interroger l’envie de Tara de passer à l’acte. Difficile d’échapper à cette pression d’autant plus qu’elle est omniprésente dans la sphère amicale. Par une logique d’entraînement de l’effet de groupe, Tara n’exprime cependant pas son malaise. La contrainte de ne pas apparaître à contre-courant de l’ambiance générale est trop forte.
Débuté dans l’euphorie adolescente aussi épuisante que superficielle, How to have sex glisse lentement mais sûrement de l’énergie du groupe au doute individuel. En filmant au plus proche ces adolescents, la cinéaste capte la force collective du groupe mais également sa fausse promesse de protection malgré sa bienveillance. S’excluant du collectif, Tara se retrouve seule face à ce passage à l’acte, un rite qui prend alors des allures de sacrifice.
50 nuances de consentement
Tara finit par considérer cette perte de virginité comme un simple élément à cocher dans une liste de course. Et pourquoi pas ? La première fois n’a pas forcément à être mémorable, elle ne l’est pas en général. How to have sex ne sacralise pas cette première relation sexuelle en portant un jugement moral sur les circonstances. Par contre, le film met la question intime du consentement au cœur de l’expérience.
Molly Manning Walker use volontairement de circonstances – milieu festif, alcool… – qui sont autant d’éléments établissant encore pour certains une zone grise. Des détails qui permettent au sinistre « oui mais… » d’émerger, comme s’il y avait des nuances en termes de consentement. Piégée par une pression sociale assimilée et devant l’insistance de son partenaire, Tara perd le contrôle de tout consentement clairement établi. Avec tact et intelligence, How to have sex met en scène une situation crédible d’abus, sans cris et sans coups, qui laisse Tara sans défense et sans voix. L’agression se déroule dans un silence glaçant, à tous niveaux. Il n’est pas exprimé par la victime et invisible pour son entourage.
Molly Manning Walker jette une lumière crue sur un comportement d’autant plus terrifiant qu’il est le fruit d’une domination masculine sur le corps des femmes jugée normale. Entre éclats de rire et sidération désespérée, Mia McKenna-Bruce livre une prestation brillante qui montre les deux facettes de son personnage qui continue à faire semblant tout en prenant conscience de ce qu’elle a vécu. Une mise à distance de l’abus voire sa négation – du moins en façade – comme mécanisme de protection qui est souvent mal compris et permet à l’agresseur de conserver son emprise.
Circonstances affligeantes
La réception, avant et après sa conception, de How to have sex, met en lumière la justesse de son point du vue qui vient bousculer un jugement parfois encore très ambigu sur les violences sexuelles. Dès le stade de la production du film, Molly Manning Walker a organisé des groupes de paroles avec des adolescents à travers le Royaume-Uni pour leur faire lire des extraits du scénario.
Pour certains, la scène d’agression décrite dans le film n’en était pas vraiment une. Assurément trop loin de la violence nécessaire pour caractériser l’abus. Une des adolescentes du groupe confie que selon elle les filles ne devraient pas se saouler comme ça. Le taux d’alcoolémie comme circonstance atténuante pour l’agresseur ou le fait que Tara ne dise pas « non » – ou pas assez clairement – est une remarque que la cinéaste a également entendu.
Ces arguments qui trouvent des excuses à celui qui impose son désir ont également été repris par des journalistes hommes croisés par la cinéaste lors du Festival de Cannes où le film a reçu le prix Un Certain Regard. Ces retours avant et après le film prouvent que How to have sex vise juste et appuie là où ça coince encore dans la notion de consentement. La règle du « si ce n’est pas oui c’est non » a encore besoin de se faire une place dans les esprits et ce film y contribue brillamment.
En mettant en scène une agression invisibilisée par l’insouciance festive et le silence de la sidération, Molly Manning Walker interroge intelligemment une vision trouble du consentement encore trop répandue. Sublimé par la prestation subtile de Mia McKenna-Bruce, How to have sex s’impose comme un film nécessaire pour qu’enfin chacun.e puisse avoir l’occasion de rater sa première fois en toute sécurité.
> How to have sex, réalisé par Molly Manning Walker, Royaume-Uni, 2023 (1h28)