Des temples bouddhistes, des centres de méditation, des moines déambulant par dizaine : s’il y a bien une ville en Inde où l’on se croirait le plus au Tibet, c’est sans aucun doute Macleodganj. Véritable « petite Lhassa » des Tibétains en exil, cette bourgade, autrefois endormie, nichée dans les montagnes de l’Himalaya, à 1 800 mètres d’altitude, s’est transformée en un centre touristique très animé au cours des cinquante dernières années. Son principal attrait : l’exotisme du bouddhisme tibétain qui trouve un large écho auprès d’une certaine jeunesse occidentale "hippie branchée", en quête d’une nouvelle spiritualité le temps d’un voyage.
"Libérez Panchen Lama !"
D’autant qu’au-delà de la visite du magnifique temple du Dalaï-Lama, situé à quelques minutes de Macleodganj et des magasins d’artisanat tibétains implantés aux quatre coins de la ville, la région attire également les bénévoles en tous genres largement sensibilisés par la cause tibétaine. Il suffit de contempler les multiples affiches sur les murs à l’effigie du jeune Gendhun Choekyi Nyima, 11e réincarnation du Panchen Lama (deuxième plus haut chef spirituel du bouddhisme tibétain) détenu par les autorités chinoises depuis 1995, pour constater que la ville s’impose encore comme un des bastions de la lutte tibétaine.
Une présence d’un demi-siècle
D’ailleurs, rappelons que l’arrivée des Tibétains dans cette région du nord de l’Inde, menés par le Dalaï Lama, est loin de dater d’hier, remontant à la fin des années 50. Composée de 100 000 âmes, la communauté avait alors choisi Dharamsala, capitale de l’Etat d’Himachal Pradesh située à une dizaine de kilomètres seulement de Macleodganj, comme siège de son gouvernement en exil. Prisée par les touristes depuis les années 1990, après l’attribution du prix Nobel de la paix au Dalaï-Lama, la région peut donc se prévaloir d’un développement économique certain. Mais cette situation crée paradoxalement des tensions entre les Himachalis, les Indiens autochtones, et la minorité tibétaine.
Pas Indien, mais réfugié
Exemple probant : lors d’une réunion organisée en mai 2010 pour célébrer le cinquantième anniversaire du gouvernement tibétain en exil (GTE), certains représentants de ce même gouvernement, avaient manifesté leur irritation de voir le Dalaï-Lama se courber devant des ministres indiens. « Ce n’est pas parce que nous sommes des réfugiés qu’il faut abuser de notre situation », avait alors confié l’un d’entre eux dans la presse locale. En effet, malgré une présence longue de cinquante ans, notons qu’aucun Tibétain de la région ne bénéficie aujourd’hui de la nationalité indienne. « Nous avons tous le statut de réfugié. Paradoxalement, cela nous permet de subvenir à nos besoins grâce aux aides internationales », raconte une habitante de Macleodganj. Et c’est bien là le nœud du problème. Considérés par les Indiens comme les réfugiés les plus riches de la planète, les Tibétains suscitent la jalousie.
Une seule issue : retourner au Tibet
Un sentiment renforcé par le rôle non négligeable des Tibétains dans le développement du tourisme local. « Conscients que la région est devenue attrayante grâce à eux, ces derniers, attendent, ainsi, plus de reconnaissance de la part des Himachalis, alors que les autres voient, au contraire, les Tibétains comme des immigrés arrogants refusant de s’intégrer », estime un Indien originaire de New Delhi, en vacances quelques jours dans la région.
En témoigne, les troubles dans les villages environnants, où de violentes altercations opposent régulièrement les deux communautés. Une situation tendue qui n’est pas prête de s’achever tant les uns et les autres vivent en vase clos. D’ailleurs, les réfugiés tibétains s’expriment encore aujourd’hui très peu en hindi. Leurs enfants ne l’apprennent pas non plus à l’école. Un statut quo volontairement entretenu par le gouvernement indien. Car l’objectif visé par ce dernier est très clair: que ces réfugiés “gênants” puissent un jour retourner au Tibet.
> Cet article a initialement été publié, en juillet 2011, sur MinoriTerres, le blog de Charles Cohen.