L'exception heureuse
Certains films sont promis au naufrage. Et se retrouvent pourtant miraculeusement sauvés des eaux. En 1975, le tournage d'un film catastrophe est bel et bien en train de ressembler à son scénario lorsque Hollywood décide d'y mettre un terme. Pourtant, dans un élan d'optimisme inespéré, convaincu par l'enthousiasme du jeune réalisateur, ô combien inexpérimenté, et malgré les problèmes techniques, les dépassements de budget et l'atmosphère délétère qui inonde le plateau, le producteur dépêché sur place accepte de jouer la carte de la dernière chance. Et c'est celle qui sourit alors à Steven Spielberg, le réalisateur en question, qui lance avec ses Dents de la Mer, le premier film de la carrière qu'on connaît, tout en inaugurant au passage une nouvelle façon de faire du cinéma : les blockbusters.
Mais pour un scénario providentiel de ce genre, combien de films restés à l'état d'ébauches, de projets, ou, pire cauchemar des réalisateurs, de tournages inachevés ? C'est précisément l'objet de ce livre.
Les bêtes noires du cinéma
On connait tous la déveine incroyable dont Terry Gilliam fut l'objet sur le tournage de son hypothétique Don Quichotte, finalement devenu le très bon documentaire Lost in la Mancha. On a tendance en revanche à oublier qu'avant lui, un autre monstre sacré du cinéma s'était brûlé les ailes sur ce titanesque projet. Orson Welles, l'un des champions du livre avec six films avortés au compteur, n'avait pas réussi à contenir l'immensité du roman sur sa pellicule. Napoléon a engendré le même genre de dégâts en tenant deux victoires par forfait sur Charlie Chaplin (qui abandonne son Retour de Ste Hélène pour se consacrer finalement au Dictateur) et Stanley Kubrick, qui avait fait de ce projet l'une de ses grandes obsessions au début des années 1970. Les plus grands réalisateurs (entre autres Eisenstein, Hitchock, Coppola, Lynch, les frères Coen, Sergio Leone, Tarantino…) ont connu ce genre d'échecs à la hauteur de leur ambition. On notera donc avec d'autant plus d'amusement la sous-représentation des réalisateurs français dans ce cimetière cinématographique, outre Louis Malle, Bresson et Clouzot. Eh oui, pendant ce temps, malheureusement, les Français, eux, font des films. Et ils les sortent.
Et si…
A travers l'histoire de tous ces films qui ne sont pas allés au bout de la leur, l'ouvrage de Simon Braud pose en fait une question implicite : doit-on vraiment les regretter ? La question est pertinente, car si le livre nous fait saliver habilement sur des fausses affiches, il a toujours l'honnêteté de mettre ces grands films qui ne sont pas nés en perspective. Ces bobines qui n'ont jamais vu le jour dans les salles obscures, n'ont-elles pas indirectement accordé la postérité à des chefs-d'oeuvre, plus importants encore ? Sans la malédiction sur Napoléon, pas de Dictateur, pas d'Orange Mécanique. Sans la tentative échouée de Batman: Year One par Darren Arnofsky, pas de trilogie de Christopher Nolan. Sans le fiasco de Superman Lives par Tim Burton, pas de Superman Returns par Bryan Singer. Mh, ah, oui, là c'est sûr, dans ce dernier cas, il y a de quoi regretter. Mais bref, vous avez compris le principe.
Avouez qu'on n'a pas forcément envie de prendre le volant de la Dolorean et d'aller dans le passé pour changer le destin de ces films perdus. Ironie de l'histoire, on serait bien capable de créer un monde sans Retour Vers le Futur.
> Les plus grands films que vous ne verrez jamais, Simon Braud, éditions Dunod, 2013.