Le principe du speed dating est simple. Un groupe de célibataires se réunit dans un bar dans l’espoir de trouver l’âme sœur. Les femmes prennent place, généralement les unes à côté des autres, tandis que les hommes se mettent à table, à tour de rôle, en face de chacune d’elles, pour un tête-à-tête bref mais savoureux, rythmé au son d’une cloche. Le procédé peut, bien sûr, être inversé et la durée des échanges peut varier, de deux à cinq minutes en moyenne. Les personnes cherchent à plaire et à épater la galerie pour, peut-être, trouver celle ou celui qui pourrait bien se pendre à leur cou. Le speed hating est bien moins connu. Même principe que son cousin, une petite différence quand même : les participants ne se montrent pas sous leur meilleur jour. Se plaindre, gémir, critiquer, s’insulter même : tout est permis à celui qui sera le plus grincheux. Décalé, excentrique, humoristique, cette pratique fait des heureux. Pour certains, une bonne façon de tomber sous le charme, car les défauts sont dévoilés et la répartie exacerbée. Pour d’autres, un exutoire bon marché et une façon de sociabiliser. Déplaire pour séduire, le speed hating a-t-il de l’avenir ?
L’événement se tient à Londres. La salle des festivités est encore vide. Carl Hill et Mike Toller, sont les organisateurs des soirées appelées aussi Down With Dating (Marre des rencards), qui ont lieu environ tous les deux mois. Les hôtes arrangent les tables, tamisent la lumière et préparent la musique. Rien de trop romantique, Bad Things de Jack Everett bat la cadence, alors que les premiers arrivants se positionnent nonchalamment dans des endroits stratégiques de la pièce. Mike éparpille de petits cartons sur chaque table. « C’est une source d’inspiration, explique Carl. Au cas où les participants seraient à court de choses à détester. » Starbucks, le mariage princier, McDonalds, faire le ménage ou les biscuits rassis sont autant de coups de pouce pour stimuler l’imagination de ces célibataires en colère.
L’idée est née d’une soirée décevante pour Carl. « J’avais un ticket gratuit pour participer à l’une de ces soirées de rencontre, mais l’ambiance était affreuse et l’accueil déplorable. » Carl se dit immédiatement qu’il doit y avoir un moyen de rendre les clubs de rencontre plus agréables et plus divertissants. « Rencontrer des gens ne devrait pas être une corvée, poursuit-il. En Angleterre, on adore se plaindre. Et puis, c’est mieux de découvrir les défauts d’une personne le plus tôt dans une relation. » Lui et Mike créent alors Feeling Gloomy, des soirées clubbing où le mot d’ordre est de passer un bon moment en pratiquant l’autodérision. « L’argument de vente pour nos clubs de rencontre n’est pas « vous allez rencontrer des gens sexy et tendances », mais plutôt « vous allez rigoler et passer un bon moment » ».
« Moins honteux qu’une vraie soirée speed dating »
Le speed hating vient de là : décalé, informel et presque loufoque. Carl, ou Kirk de Vere, comme il se fait appeler pour la soirée, porte un costume dépareillé, veste à carreaux, chemise à pois, cravate foulard bariolée. Il passe parmi les participants, a un petit mot pour chacun, une blague pour mettre à l’aise. S’il y a bien un individu pour briser la glace, c’est lui. Il distribue également des badges avec de faux surnoms, qui déclenchent un premier sujet de conversation entre les participants.
Une vingtaine de personnes sont présentes. C’est une première pour Archie, 26 ans, poussé à venir par deux amis à lui. Alfonso, 34 ans, veut simplement rencontrer des gens sympas. Wally, lui, a essayé le speed dating et n’était pas convaincu. « On ne fait que discuter. C’est un peu plat. Le speed hating a l’air plus fun. » Ana avait envie de faire quelque chose de différent et pourquoi pas rencontrer quelqu’un. « C’est la première fois que je fais ça, explique-t-elle. Mais c’est moins honteux qu’une vraie soirée speed dating. Ici, on ne perd pas son temps avec des broutilles, on va directement à l’essentiel et on peut vider son sac ». C’est, en tout cas, ce qu’elle espère. « Si quelqu’un venait à être d’accord avec moi, ça me mettrait vraiment en colère. »
Carl s’empare du micro et donne les instructions. Au programme, du speed hating, du blind hating, des jeux de société et du rire. Les règles sont simples : dire ce que l’on déteste, se plaindre, se laisser aller. « Vous pouvez aussi vous insulter mais nous ne serons en aucun cas responsables des dommages, donc mettez-vous d’accord avec votre partenaire si cette dernière option vous tente », précise Carl. Un petit mot enfin sur le « Mur de La Honte », où chacun peut, au cours de la soirée, laisser un mot coup de cœur, un éclat de colère ou une adresse email.
La cloche retentit, la clameur s’élève, les conversations s’animent déjà. Les transports en commun à l’heure de pointe restent le sujet le plus populaire ; les patrons sadiques et les gens bloquant les escalateurs le talonnent. Pour les chômeurs, le thème de la récession revient souvent ; tout comme la meilleure façon de manger un œuf. Les trois minutes réglementaires s’écoulent. La cloche sonne, les hommes se décalent et ainsi de suite. L’entrain des premières minutes bat parfois de l’aile, Archie par exemple est à court d’arguments. « En temps normal, je trouve ça très facile de me plaindre mais là… ». La mine gênée, il saisit l’une des antisèche et, pour jouer le jeu, prétend s’offusquer qu’une personne sur Terre n’apprécie pas la magie de Starbucks. Cet instant critique est vite interrompu par la cloche.
Vrais débats ou échanges surréels
Alfonso s’installe et se plaint de répéter la même chose depuis douze minutes puis lance en plaisantant : « je déteste les lapins et les gens qui tournent de l’œil quand je trempe mon biscuit dans le café ». S’ensuit une série d’absurdités. Plus la soirée avance, plus la complainte se dérouille, lançant de vrais débats ou des échanges surréels.
Ce marathon de la rencontre est ponctué de pauses. « Ce soir, il n’y a pas beaucoup de monde mais en temps normal, trois minutes de speed hating avec une quarantaine de personnes peut être assez fatiguant », précise Carl. On change de jeu. Pendant le blind hating, monsieur X pose de détestables questions à trois jeune filles qu’il ne voit pas, choisissant à la fin celle avec les réponses les moins politiquement correctes.
Place ensuite aux jeux de société. Ana, de l’autre côté de la salle, paraît bouder. La soirée prend une tournure trop bon enfant. Une partie de Jenga plus tard, le deuxième round de speed hating commence. Une autre jeune femme, Doreen, se laisse tomber sur sa chaise. « Presque fini ! », souffle-t-elle. Le dernier son de cloche retentit. Carl remercie les participants et les encourage à se sociabiliser durant la dernière heure. La majorité s’exécute sans hésitation. La plupart ont même l’air de se connaître depuis des années. Alfonso et Archie reviendront. « C’était une bonne soirée, la plupart des gens rentrent dans le jeu », explique ce dernier. Wally est satisfait. « C’est moins ennuyeux que le speed dating ». Ana la boudeuse s’est déjà éclipsée et Doreen ne reviendra pas. « Je déteste ce genre de soirée. Ce n’est pas naturel. Je devais me forcer à discuter avec des gens à qui je n’avais pas envie de parler ». Néanmoins, la majorité semble comblée et la soirée a eu les effets escomptés. « On ne promet pas un remboursement si vous n’avez rencontré personne ou si vous avez passé une mauvaise soirée, souligne Carl. Mais c’est quand même une alternative plus spontanée que les rencontres en ligne et plus distrayante que de s’assoir à une table et échanger noms et professions. »
Mais que reste-t-il de la spontanéité des rencontres fortuites, de la romance ? « Les rencontres sont difficiles dans les grandes villes et les maintenir l’est encore plus. Nous facilitons ceci en organisant des soirées informelles et ça marche. J’ai encore reçu un email d’une personne qui a rencontré quelqu’un à notre soirée spéciale Saint-Valentin », conclut Carl. Humour, autodérision, Carl veut débarrasser les gens de leurs inhibitions, faire ressortir leur côté excentrique, critique et détourner la formalité. A en juger par l’ambiance de camaraderie en cette fin de soirée, c’est une mission accomplie. Femme qui rit…