« K.O », shooté déclassé

« K.O », shooté déclassé

« K.O », shooté déclassé

« K.O », shooté déclassé

Au cinéma le

Homme de pouvoir arrogant et dominateur, Antoine Leconte se retrouve plongé dans le coma après s'être fait tirer dessus. À son réveil, sa vie semble lui avoir été volée. Rêve ou réalité ? Complot ? K.O se vit comme un cauchemar éveillé oppressant, relevé d'une pointe de critique sociale acerbe. Un purgatoire diablement efficace.

Responsable de programmes télé au caractère autoritaire, Antoine Leconte (Laurent Lafitte) impose sa loi tant dans son milieu professionnel que dans sa vie privée. Au terme d’une journée particulièrement éprouvante lors de laquelle il apprend que sa compagne Solange (Chiara Mastroianni), également présentatrice du JT, vient de terminer l’écriture d’un livre qui ne le met guère en valeur, Antoine se fait tirer dessus par un ex présentateur qu’il a évincé de l’antenne.
Après un coma d’une durée difficile à définir, Antoine se réveille dans un monde qui lui est complètement étranger. Il n’est plus dirigeant au sein de la chaîne mais « simple » présentateur météo, son assistance a pris sa place, Solange fréquente l’homme qui a tenté de le tuer et son entourage lui assure, preuve à l’appui, que son coma était dû à une crise cardiaque. Dans cette nouvelle vie bouleversée qui a pourtant l’air si réelle, Antoine se croit victime d’un complot. Déboussolé, il fera tout pour tenter de retrouver la position qui pense être la sienne.

K.O

Cauchemar en terre inconnue

Pour son second long métrage après Simon Werner a disparu… (2010), Fabrice Gobert plonge Laurent Lafitte dans un cauchemar qui fait penser aux épisodes les plus tordus de la mythique série La quatrième dimension (1959-1964). Comme dans sa série Les revenants (2012-…), le réalisateur explore l’idée d’une présence étrangère venant troubler le quotidien. Sauf que dans ce cas Antoine n’est pas mort — ce qui lui arrive semble cruellement réel — et, il en est persuadé, c’est le monde entier qui a changé autour de lui. Film labyrinthe, K.O se suit comme un enquête intime : le spectateur est invité à se mettre à la place d’Antoine et à rassembler tout au long du film des indices pouvant le mettre sur une piste. Antoine est-il devenu totalement amnésique suite à son coma ? A-t-il déjà été autre chose que présentateur météo ailleurs que dans ses fantasmes ? Un complot de cette ampleur est-il possible ? Où se situe la réalité ? De nombreuses possibilités — plus ou moins rationnelles — sont proposées et le but est évidemment de démêler le vrai du faux. Et l’ensemble fonctionne car — malgré son caractère franchement détestable — on éprouve de l’empathie, voire une forme de sympathie, pour cet homme qui se retrouve plongé dans une vie qui n’est pas la sienne. Le doute sur la réalité de l’enfer qu’il est en train de vivre rend le personnage attachant. Dans cette réalité — alternative ? — Antoine n’est plus aux yeux de ses proches et collègues le patron méprisant d’avant le drame et on ose croire à une repentance du personnage. Mené habilement jusqu’à son dénouement, ce purgatoire halluciné tient en haleine en proposant un puzzle à reconstituer pièces par pièces avec, en chemin, des piques bien senties sur l’âpre univers de compétition au sein du monde du travail.

K.O

Coma social 

Ce n’est pas un hasard si Fabrice Gobert a porté son dévolu sur le petit monde mesquin et cynique de la télévision — qu’il connaît bien grâce à la série qu’il a créé pour Canal + — pour offrir une vision brutalement réaliste du monde du travail. Sous l’aspect de drame fantastique — voire métaphysique —, K.O explore, avec une vision assez juste, les coulisses de l’univers télévisuel sur lequel règne en maître Antoine avant de se retrouver à son tour déclassé, réduit au rang de présentateur météo. Personnage imbu de lui-même et persuadé de son bon droit, l’homme de pouvoir prend de plein fouet cette « casse sociale » qui lui tombe dessus. De bourreau à victime, Antoine vit dans sa chair la perte de son poste que le réalisateur associe à la perte d’identité. Et l’épreuve est d’autant plus éprouvante pour Antoine que les personnes de son entourage ont toutes changé de place hiérarchique au sein de la chaîne dans un jeu de chaises musicales infernales. Entre petits calculs et trahison, Antoine découvre, de l’autre côté du miroir, la violence qu’il exerçait… lorsqu’il était encore lui-même ! De quoi péter les plombs. K.O met en lumière le mécanisme malsain du pouvoir et la pression que ceux qui sont arrivés tout en haut se permettent d’exercer sur leurs subalternes. Une dure loi de la jungle d’entreprise officieuse que tout le monde se doit de respecter au risque d’être mis de côté. « Ne demande pas les choses, obtient les ! » conseille Antoine à son assistante qui aimerait évoluer au sein de la chaîne. Après son coma, celle qui est devenue sa supérieure lui fera un plaisir de lui rappeler cette formule sans appel. En perdant son poste, Antoine perd sa prestance, son pouvoir sur les autres et c’est ce qui semble le perturber le plus dans cette situation incroyable. Cette addiction au pouvoir rééquilibre l’empathie que l’on peut éprouver pour ce personnage complexe : il n’est pas certain, au final, que cet homme ne mérite pas l’enfer que le sort lui fait subir.

Parfaitement maîtrisé, le cauchemar paranoïaque de Fabrice Gobert tient en haleine jusqu’à son subtil dénouement. Pesant mais ne s’interdisant pas quelques pointes d’humour venant appuyer l’ironie de la situation, K.O s’impose comme un drame fantastique au propos social mordant, porté par des comédiens parfaits dans leurs rôles jumeaux, de chaque côté du miroir.
 

> K.O, réalisé par Fabrice Gobert, France, 2017 (1h55)

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