« La légende d’Ochi », lassitude de l’enfant perdue

« La légende d’Ochi », lassitude de l’enfant perdue

« La légende d’Ochi », lassitude de l’enfant perdue

« La légende d’Ochi », lassitude de l’enfant perdue

Au cinéma le 23 avril 2025

Adolescente solitaire vivant sur une île isolée des Carpates, Yuri a été élevée dans la crainte des Ochis, de mystérieuses créatures tapies dans la forêt. Lorsqu'elle recueille un bébé Ochi abandonné, l'ado décide de le ramener parmi les siens. Variation sur le thème de l'adoption d'une créature comme acte d'émancipation, La légende d'Ochi fait écho aux productions Spielberg des années 80. Mais ce film d'aventure familial, dans tous les sens du terme, très réussi visuellement, possède aussi un regard moderne sur la famille au sens large qui transcende le simple hommage nostalgique.

Sur l’île coupée du monde de Carpathia, Yuri (Helena Zengel), adolescente taciturne,  subit les règles étouffantes imposées par son père Maxim (Willem Dafoe). Comme tous les habitants de la communauté, la jeune fille a grandi dans la peur des Ochis, créatures mystérieuses qui peuplent la forêt.

Un jour, Yuri recueille un bébé Ochi piégé et abandonné par sa meute. Derrière l’agressivité de défense de la créature, l’adolescence découvre un être sensible et attachant. Déterminée à ramener le jeune Ochi auprès de sa famille, Yuri défie l’autorité paternelle. Elle s’enfuit dans la forêt vers une aventure pleine de dangers.

La légende d'Ochi © 2024 A24 - KMBO Films

Retour à la maison

Pour son premier long-métrage, Isaiah Saxon, créateur de clips musicaux pour des artistes comme Grizzly Bear ou Björk, s’essaie au film familial où une créature – mignonne tant qu’à faire – symbolise l’ouverture à l’altérité et la liberté. Évacuons dès à présent le sujet des comparaisons : impossible de ne pas penser au bestiaire – terrestre ou extra – qui a devancé ce bébé Ochi à la bouille attachante dans l’histoire du cinéma. Un héritage qui trouve ses racines dans les années 80 et notamment l’univers étendu Spielbergien à travers sa société de production Amblin Entertainment fondée en 1980 avec Kathleen Kennedy et Frank Marshall. Une référence que le cinéaste ne cherche pas à cacher, bien au contraire.

Après une introduction posant les bases de cet univers entre réalisme et fantastique, une scène de chasse nocturne aux Ochis dans la forêt invoque le début du mythique E.T., l’extra-terrestre (1982) réalisé par Steven Spielberg. La créature, animal aux traits simiesques avec une pointe d’étrangeté pouvant provenir des confins du cosmos, évoque aussi bien E.T. que Gizmo, adorable mais potentiellement dangereux mogwaï, de la mythique saga Gremlins.

Comme E.T., le bébé Ochi veut retourner à la « maison ». De son côté, Yuri cherche à redéfinir un foyer mal au point depuis le départ de sa mère. Pour le spectateur, ce retour à la maison prend la forme d’une nostalgie cinéphile totalement assumée. Finn Wolfhard – révélé par la série Stranger Things (2016-2025) et vu récemment dans S.O.S. fantômes: L’héritage (2021) – lire notre critique -, qui incarne Petro, le frère adoptif de Yuri, ajoute à cette ambiance so 80’s. La quête d’aventure de Yuri peut également faire penser aux jeunes héros du film Les Goonies (1985).

Toutes ces références qui viennent naturellement à l’esprit sont intelligemment assimilées par Isaiah Saxon. La légende d’Ochi évite habilement les citations trop évidentes et surtout la copie pleine de révérence mais fade ou, parfois pire, faussement parodique. À l’instar de celui qui bat ostensiblement dans la poitrine d’E.T., le film possède son propre cœur et fait de véritables propositions qui font oublier les comparaisons trop réductrices.

La légende d'Ochi © 2024 A24 - KMBO Films

Vraie fausse fourrure

Obsédé par l’expérimentation des techniques cinématographiques, Isaiah Saxon a fait le choix d’une créature présente sur le plateau de tournage. Une façon d’éviter l’obsolescence programmée des effets spéciaux qui finissent – presque toujours – par mal vieillir mais aussi d’incarner le bébé Ochi aux yeux d’un casting de haut niveau. Animé par cinq marionnettistes, trois pour le corps et deux pour le visage, comme le dévoile ce making-of, le bébé Ochi est saisissant de réalisme.

Une présence peau contre fourrure qui permet une interaction forte avec Yuri que des effets numériques auraient pu rendre artificiels et non crédibles. Les membres adultes du clan des Ochis sont eux incarnés par des acteurs en combinaisons spéciales avec extensions des membres pour là aussi donner corps à ces étranges créatures.

Cette approche traditionnelle offre une présence visuelle indéniable à la créature à la sympathique frimousse qui sait aussi montrer les crocs pour se défendre. Dans un amusant jeu de mimétisme, Yuri utilise d’ailleurs une fausse dentition qui lui permet d’apprivoiser le bébé Ochi. Inspirés des singes rhinopithèques de Roxellane qui vivent dans les forêts montagneuses de Chine, les Ochis possèdent un aspect extraterrestre qui fait vagabonder l’imagination. Leur réalité devant la caméra ancre cet imaginaire dans le réel, une des réussites du film.

La légende d'Ochi © 2024 A24 - KMBO Films

Brouiller les pistes

Au-delà de l’influence de Spielberg, La légende d’Ochi évoque un rapport à la nature particulier à travers une atmosphère visuelle très réussie qui trouve ses racines dans un célèbre cinéma d’animation asiatique. Si la créature par laquelle l’aventure débute fait écho au monstre sympathique de Mon voisin Totoro (1988) pour son aspect mystérieux, l’ambiance entre naturalisme et fantastique qui plane sur le film renvoie à toute l’œuvre du maître Hayao Miyazaki.

Cette île des Carpathes imaginaire sur laquelle vit Yuri et ses proches évoque une nature sauvage pleine de zones d’ombres, demeure du clan des Ochis. Tourné en Roumanie avec des objectifs de caméra datant des années 30, le film mélange décors naturels et éléments fantastiques, en usant notamment de la méthode là aussi traditionnelle des matte painting, des décors de cache peints à la main, pour créer une ambiance de fantastique crédible.

De la marionnette manipulée à la façon de composer les décors, La légende d’Ochi crée un univers à la fois nostalgique et intemporel dans lequel il est plaisant de se perdre. Cette conception qui brouille les pistes s’explique par l’attrait du cinéaste pour des récits naturalistes. Isaiah Saxon cite notamment Kes (1969) de Ken Loach et L’Étalon noir (1979) de Carroll Ballard comme modèles d’une communication crédible entre un humain et un animal. Un lien intime qui passe par le langage commun improbable et magnifique entre Yuri et le bébé Ochi.

La légende d'Ochi © 2024 A24 - KMBO Films

L’autre voie

L’échange entre Yuri et le bébé Ochi est possible grâce à un langage commun, au-delà des mots. Une belle idée du film qui vient supplanter le langage humain dans ce film où les dialogues sont réduits au minimum voire totalement absents de certaines scènes. Lorsque Yuri découvre qu’elle peut communiquer dans la langue des Ochis, c’est une révélation. Ce dialogue inter espèces renforce le propos naturaliste du film et la thématique d’une famille au sens élargi.

Ce langage Ochi, ou plutôt ce chant, renvoie le langage humain au stade de balbutiements imparfaits. Mélange de poésie et de musique, il est composé de vibrations et touche au « sublime » selon Dasha (Emily Watson), la mère de Yuri. Une admiration qui tient au fait qu’il n’a pas besoin de mots pour exprimer des émotions. La « voix » des Ochis est pourtant ironiquement principalement humaine, composée à 90% des sifflements de Paul « The Birdman » Manalatos et à 10% de chants d’oiseaux : l’oiseau moqueur et un peu de corbeau.

Avare en dialogues, La légende d’Ochi fait la part belle à la musique. Composée par David Longstreth, chanteur et guitariste du groupe Dirty Projectors, la bande son du film est omniprésente. Le thème lancinant est celui d’un tube local qui est « la chanson » du couple de parents désormais désuni mais aussi un air chanté par les Ochis. Une incertitude poétique plane sur la provenance d’origine – humaine ou Ochi – de la ritournelle. Débarrassée du langage humain, la jolie scène finale du film est quasi muette, portée par la musique qui s’avère alors un peu encombrante.

La légende d'Ochi © 2024 A24 - KMBO Films

La bagarre !

Symbole d’un casting très solide, l’impeccable Willem Dafoe vu dans The Lighthouse (2019) – lire notre critique – et plus récemment Nosferatu (2024) – lire notre critique – et Beetlejuice Beetlejuice (2024) – lire notre critique, incarne Maxim. Pour ce père très strict, le rapport à la nature se vit exclusivement comme un rapport de force. La vie est un combat qui ne trouve un équilibre qu’à travers une masculinité pouvant aisément être qualifiée de toxique. Pour ce père, la vie c’est la guerre !

Afin de lutter contre les Ochis, Maxim forme une poignée de jeunes garçons confiés par leurs parents pour les « endurcir ». Au sein de ce clan exclusivement masculin, Yuri est totalement isolée en tant qu’adolescente et mise à l’écart par son père. Lorsqu’il découvre que sa fille a fugué, Maxim enfile une armure pour aller faire la guerre aux Ochis. Pour lui, les créatures sont évidemment coupables alors qu’il sait pertinemment que sa fille est partie de son plein gré et à cause de lui.

Dans le déni, Maxim se complait dans cette violence comme outil de résolution des conflits. Son personnage volontairement excessif pose la question d’une humanité qui défend sa place dans la chaîne alimentaire à grand renfort de testostérone. Cette amusante pique envers le patriarcat plane sur le film sans pour autant devenir caricaturale. Si le virilisme de Maxim est tourné en ridicule, le personnage est aussi touchant. Ses réactions s’inscrivent dans une insécurité face à un foyer familial que l’on découvre atomisé, finalement le vrai sujet de cette aventure.

La légende d'Ochi © 2024 A24 - KMBO Films

We are family

Le cœur de cette aventure fantastique est en effet la conception de la famille. Étouffée par l’inflexibilité son père, Yuri s’isole dans sa chambre avec ses chenilles en écoutant du black metal. Un crise d’adolescence classique en somme… L’arrivée du bébé Ochi lui confère subitement une responsabilité maternelle et la pousse à déclencher la révolte qui était sur le point d’exploser.

Si Yuri croise sa mère démissionnaire, magnifiquement interprétée par Emily Watson, sur le chemin pour réunir le bébé Ochi avec sa propre génitrice ce n’est évidemment pas un hasard. La légende d’Ochi n’est qu’un prétexte à une grande réunion familiale, toutes espèces confondues. Avec des dialogues réduits au minimum, ce film familial propose d’extrapoler les non-dits. On peut ainsi supposer une véritable violence entre Maxim et Dasha dont la véritable nature échappera aux plus jeunes spectateurs mais qui les pousse tout de même à se battre, physiquement, pour leur fille.

Cette exploration franche des dysfonctionnements familiaux est assez étonnante pour un film qui vise justement le public familial même si elle est évidemment contrebalancée par le charme apaisant de la jeune créature. Ce regard frontal sur la difficulté des liens familiaux et la sensation d’abandon lors de l’adolescence est l’aspect le plus moderne et réjouissant de cette quête fantastique qui s’avère au final une aventure très intime.

La légende d'Ochi © 2024 A24 - KMBO Films

Sur le papier, La légende d’Ochi a tout d’un énième film sur le pouvoir rassembleur d’une créature venue d’ailleurs. Une histoire fantastique d’adoption dont on n’attend a priori pas grand chose à part traiter honnêtement le sujet en rendant hommage à ses illustres prédécesseurs. Une mission accomplie ici avec un supplément d’âme et une modernité qui en font une aventure familiale en quête d’harmonies très touchante.

> La légende d’Ochi (The Legend Of Ochi) réalisé par Isaiah Saxon, États-Unis – Finlande – Royaume-Uni, 2024 (1h37)

La légende d'Ochi (The Legend Of Ochi)

Date de sortie
23 avril 2025
Durée
1h37
Réalisé par
Isaiah Saxon
Avec
Helena Zengel, Finn Wolfhard, Emily Watson, Willem Dafoe, Răzvan Stoica, Carol Borș, Andrei Antoniu Anghel, David Andrei Bălțatu, Eduard Oancea, Tomas Otto Ghela, Eduard Ionut Cucu
Pays
États-Unis - Finlande - Royaume-Uni