La famille Lunies a connu des jours meilleurs. Tom (Lars Eidinger), chef d’orchestre à Berlin, est sur le point d’assumer la parentalité bancale de l’enfant de son ex-femme Liv (Anna Bederke). Sa sœur Ellen (Lilith Stangenberg) commence une liaison avec Bernard (Robert Gwisdek), un homme marié, avec qui elle a en commun une dangereuse passion pour l’alcool.
Pendant que Tom et Ellen sont accaparés par leurs tourments respectifs, leurs parents Lissy (Corinna Harfouch) et Gerd (Hans-Uwe Bauer) déclinent physiquement et se sentent délaissés par leur progéniture. Alors que les non-dits empêchent toute tentative de renouer des liens, le clan Lunies peine à établir dans un climat serein propre à la réconciliation.
Scénario impulsif
Sterben, le verbe mourir en allemand et titre original de La Partition, annonce un film qui évoque sans détour l’inexorable fin de vie. Son scénario a été écrit par le réalisateur Matthias Glasner alors qu’il venait de perdre ses parents à peu de temps d’intervalle. Une perte d’autant plus brutale que leur disparition s’est faite dans la souffrance. Son film est une façon d’exorciser des derniers échanges qui n’ont pas été exprimés à temps.
L’ombre de leur disparition plane au-dessus de cette chronique familiale très autobiographique qui remet cruellement en cause des liens du sang jugés naturels. La Partition se veut une œuvre d’atmosphère qui tente de retranscrire le ressenti du cinéaste. Œuvre en réaction, elle n’a pas été pensée en termes de contenu avec une véritable structuration du scénario.
Très loin de l’humeur badine de Seinfeld (1889 – 1998), Matthias Glasner revendique pourtant une certaine influence de la série culte dans son envie d’écrire sur du « rien ». Dans son cas, le terme fait écho autant pour la non structuration du récit qui n’a rien à prouver ou à démontrer qu’une pesante vacuité existentielle. Une écriture libérée qui puise aussi dans son expérience dans le domaine de la série.
Déboires en série
Du lent déclin des parents menant à l’inévitable au fait d’élever l’enfant que sa petite amie a eu avec un autre homme, La partition pioche dans la vie du cinéaste mais s’inscrit dans une démarche plus large avec de multiples points de vue. Lors de l’écriture, les éléments se sont mis en place au fur et à mesure et cela se ressent dans la construction du film qui emprunte à l’esprit sériel.
Inspiré par son expérience avec la série Das Boot (2018), Matthias Glasner tisse un récit kaléidoscopique découpé en chapitres, chacun dédié à un personnage, qui pourraient être les épisodes d’une série. Le drame se dévoile ainsi à travers le regard de chaque personnage, parfois à des périodes simultanées. Un procédé qui rend plus digeste les trois heures du film et renforce l’incommunicabilité entre les membres de cette famille aux sentiments dysfonctionnels.
Entre l’esthétique narrative de la série et un aspect cinématographique assumé, La Partition est une œuvre hybride qui tient autant de la grande fresque générationnelle et sociale que de l’intime familial. De la croisée des ces regards perdus, des solitudes et des renoncements de chacun se dégage une impression dramatique d’un gâchis inévitable qui n’est pas sans des pointes d’humour – noir – salvateur.
Drôlement dramatique
Œuvre dramatique dense abordant des sujets lourds, La Partition revendique une certaine dose de décalage qui permet à ceux et celles qui veulent bien le détecter de ne pas se noyer dans cet océan de pessimisme – ou réalisme, selon le point de vue. Le cinéaste revendique en effet une part de comédie dans sa tragédie familiale et plus largement existentielle.
Cet humour qui ne joue pas sur la corde cynique provient du jeu avec les limites. Au moment les plus dramatiques, le film est sur la corde raide entre le pathos et la désinvolture. Il joue sciemment avec le mauvais goût et la transgression des limites pour tenter de ne pas sombrer dans un pathos plombant.
Ainsi une scène cruelle où le fils et sa mère s’avouent leur défiance mutuelle – le lien maternel n’existe pas dans la famille Lunies – renforce cette impression d’une violence assumée dans les rapports humains. Une franchise brutale qui crée une certaine distance avec le drame qui se déroule sous nos yeux. Comme un réflexe de protection face à une œuvre implacable qui ne se contente pas de disséquer froidement les rapports familiaux.
Fausses notes
Comme son titre français l’indique, La Partition est également un film qui fait la part belle à la musique, au rythme lancinant du requiem plutôt qu’un allegro enjoué. Matthias Glasner a choisi de se réincarner à l’écran dans le peau d’un chef d’orchestre, métier qu’il a envisagé un temps. La raison est aussi une transposition parfaite entre le rôle du cinéaste au cinéma et celui de chef au sein d’un orchestre qui doivent réussir à transmettre une vision.
Cette idée de transposer dans le réel une inspiration – la théorie de la ligne rouge dans le film – aussi bien une partition que des sentiments accompagne les trajectoires de chacun. La présence de la musique n’est pas juste un caprice esthétique. À travers le rôle de Ronald Zehrfeld (Sebastian Vogel), ami de Tom et compositeur à tendance suicidaire, La Partition explore les affres de la création comme les failles familiales.
L’impossibilité pour le compositeur de croire en son œuvre et de faire partager sa vision avec le monde fait écho aux difficultés de communication des membres de la famille. Les notes et les sentiments enfouis, inatteignables, renforcent cette idée d’une solitude insurmontable. Une peine adoucie par le rêve d’une paternité fantasmée pour Tom, noyée dans l’alcool pour Ellen ou l’attrait du néant pour le compositeur.
Rythmé par des scènes de répétitions qui sont autant de respirations, le mélodrame de Matthias Glasner se déroule comme une symphonie avec ses différents mouvements. Des vagues musicales où l’ampleur du mal être des personnages dévoile peu à peu l’état de relations familiales et intimes désastreuses. Une vision pessimiste des rapports humains où l’égoïsme rejoint la solitude dans ce requiem pour relations manquées.
> La Partition (Sterben), réalisé par Matthias Glasner, Allemagne, 2024 (3h03)