Ils sont dix. La petite trentaine pas encore sonnée. Dix jeunes hommes dont les parents sont tous arrivés d’Afrique avec les dernières vagues d’immigration. Franklin, Hadama, Fabrice, Endy, Gamal, Samba, Mara, Yassine, Mossi et Yann sont "des gars de Villiers". Les Gars de Villiers, c’est également le titre d’un livre paru en octobre dernier aux éditions Ginko. Une œuvre réalisée à vingt-deux mains, la bande de Villiers-sur-Marne et Pascale Egré, reporter au Parisien, spécialiste des questions de société, qui les a aidés à construire ces textes. « Onze, comme une équipe de foot », fait remarquer Hadama.
Ensemble, ils sont allés au collège, ont fait quelques bêtises, ont beaucoup joué au foot, ont traîné aux pieds des immeubles de leur quartier. Le quartier des Hautes-Noues, la cité de Villiers-sur-Marne. Déjà au collège, Mossi et Gamal ont pensé à un livre pour y raconter les bêtises qu’ils faisaient dans le dos de leurs profs. L’idée a fait son chemin. En 2007, ils se lancent dans l’aventure de l’écriture, prenant conscience que la vie les séparait. Alors, ils ont choisi un livre pour raconter leur histoire commune. « Pour eux, un livre est beaucoup plus imprescriptible qu’une chanson ou qu’un film », explique Pascale Egré.
Les grands thèmes de leur vie
Ensemble, ils ont décidé des thèmes qu’ils voulaient aborder. Des thèmes qui ont baigné leur quotidien dans la cité. Les origines, la cité, le foot, le vol, la drogue, la police, la religion, l’amour et les filles, la politique, le racisme et l’identité, l’ailleurs et enfin, l’avenir. Des thèmes à travers lesquels ils pouvaient, chacun ou collectivement, se raconter, témoigner de ce qu’un jeune de cité, enfant d’immigrés, a dans la tête.
A qui s’adresse ce livre ? « Déjà, à nous dix, parce que j’ai découvert beaucoup de choses sur Endy ou sur Mossi, en le lisant. Il s’adresse à nos petits frères et sœurs, à nos familles, à notre entourage et à quiconque s’intéresse à la vie dans une cité », commente Hadama.
Parce que la cité, après tout, qu’en savons-nous ? La délinquance, les problèmes avec la police, la pauvreté, les paysages tristes et gris, des voitures qui brûlent, un Islam qui fait peur. Des images qu’on voit tous les jours et qui finissent par désincarner ces lieux qui sont pourtant des lieux de vie, qui sont habités par des personnes qui ont un quotidien, comme chacun d’entre nous. Pas de mise en scène, de posture, d’exagération, d’ornement. On nous donne à voir, tel que c’est.
Faire table rase des clichés
Le but est bien sûr de tordre le cou à tous ces préjugés dans lesquels on se noie, parfois malgré nous, quand on ne vient pas d’une cité. « Toutes ces étiquettes, jeunes de cité égal jeunes délinquants. Jeunes de cité égal jeunes musulmans donc intégristes sur les bords. C’est aussi ça, ce livre. Parce qu’ ils sont normaux ! », lance Pascale Egré.
Dans le chapitre sur la cité, Mara écrit : « Ils croient que c’est la jungle. Ils croient qu’ici, on a des lionnes ». Oui, la cité, elle est presque exotique. Et même si on ne veut pas la passer au Kärcher, on ne connaît d’elle que les violences, le racisme, la pauvreté, le fort taux de chômage… Des concepts, mais pas d’humains.
Bien sûr leur quotidien est différent de celui d’un jeune de quartier huppé. A la lecture de ce livre, on se rend compte que le "droit chemin" est très difficile à dénicher, alors que pour les mauvais chemins, on a l’embarras du choix. « Le mauvais chemin est plus rapide et plus facile d’accès. Le bon chemin semble loin et difficile », avoue Gamal.
Le deal, le vol, ils les ont tous connus, de plus ou moins près. Les problèmes avec la police, mérités ou non, ils les ont tous connus aussi, de plus ou moins près encore. « Les embrouilles, on peut tomber dedans sans jamais les avoir choisies. Etre solidaire, aider ton pote, c’est important dans les cités. » Les embrouilles, ça sert aussi à ça, à créer des liens avec les autres.
Le foot et la religion
Ces dix-là ont choisi le droit chemin. Ils se sont appuyés sur deux piliers qui ne les ont jamais déçus : le foot et la religion. « Le foot, j’en fais depuis que je suis tout petit. C’était un moyen pour ma mère de m’occuper, ça la rassurait de savoir que je ne trainais pas en bas. J’allais au foot, je me défoulais et j’aimais ça. Dans notre groupe, on est tous passionnés de foot, il nous a empêchés de trop rester à la cité. On en sortait, on rencontrait des gens de l’extérieur, d’autres mentalités. »
La deuxième béquille, c’est la religion, l’Islam pour la plupart. Seuls Endy et Franklin, sont catholiques. N’empêche, même pour Endy, la religion est un garde-fou.
Hadama poursuit : « Le foot nous a empêchés de mal tourner. La religion, on baigne dedans. C’est comme un oiseau, il a deux ailes. Nous, c’était la religion d’un côté et le foot de l’autre. »
« Leur religion et la manière dont ils la construisent se veulent tout à fait compatibles avec la laïcité. Malheureusement, ce n’est pas du tout l’image dominante selon laquelle l’Islam est perçue en France », insiste Pascale Egré.
Le foot, la religion, des repères communs et stables qui les ont encadrés et soutenus, avec l’aide des "tuteurs", éducateurs, figures du quartier, des gens qui comptent et qu’ils ne veulent pas décevoir.
Les filles
Dans Les Gars de Villiers, les filles sont absentes. Ou presque. Un chapitre leur est tout de même consacré : l’amour et les filles. Et deux débats avec des filles y sont retranscrits. Pourquoi les rencontre-t-on si peu ? « Elles ne faisaient pas partie de notre quotidien. Les amies filles apparaissaient et disparaissaient, c’était par intermittence. Et une fille, tu ne lui dis pas : "viens, on va vendre de la drogue ou viens, on va se battre." », raconte Gamal.
Garçons et filles ne trainent pas ensemble dans les quartiers et quand les filles trainent, elles restent entre elles. Elles ont des grands frères dont les ombres planent dès qu’il est question d’elles. Pascale Egré aurait bien aimé que les filles interviennent davantage ou même faire un deuxième tome avec des filles de Villiers ou d’ailleurs. Pourquoi pas ? « Mais il faut que ça vienne d’elles. Parce que c’est ça aussi le fondement de ce livre, c’est eux qui l’ont voulu. Et le fait qu’elles soient absentes en dit long sur les difficultés de la mixité dans les quartiers. C’est dur d’être une fille dans une cité. »
Et après ?
Maintenant que ce livre existe, que deviendront Mossi, Hadama, Gamal, Endy et les autres ? Pour Endy, qui se cherche encore beaucoup, l’objectif est de quitter le carcan de la cité. Pour Mossi, styliste, il rêve de s’imposer dans sa profession. Pour les autres, c’est encore autre chose.
Pour l’instant, il faut aussi assumer ce livre, ce témoignage collectif sur une société qui va mal. Il faut maintenant faire en sorte que le message que porte cette ouvrage ne s’arrête pas avec la fin de la promo. « Quand tu vois ton petit frère ou ta petite sœur lire ton livre dans le salon, tu te dis que maintenant, tu as des responsabilités par rapport à ça », admet Mossi. Ils y sont tous prêts et préparés. Ils ont envie de débattre, d’échanger, de parler d’une réalité qui ne serait pas transformée par les médias ou les dirigeants politiques, d’une réalité où il est plus facile de dealer que de trouver un bon chemin, une réalité dont il va bien falloir finir par s’occuper.
En 2012, pas question de manquer l’élection présidentielle. Ils iront tous voter, c’est important pour eux en tant que citoyens. Pour beaucoup le vote sera blanc, parce que s’ils croient encore en la politique, ils n’ont plus foi en les hommes politiques. « Pourtant, votre livre est politique. Il envoie un message aux médias, à la police, aux dirigeants politiques, à chaque citoyen. C’est politique », leur explique Pascal Egré.
Ils sont surpris. Ils demandent en quoi c’est politique. Ils n’avaient pas encore compris à quel point.
> Les Gars de Villiers, collectif, présenté par Pascale Egré, Ginkgo éditeur, 2011.