Rien ne va plus entre Marc (Pierre Niney), réalisateur reconnu, et ses producteurs qui ne croient plus en son projet. Déterminé à ne pas abandonner, le cinéaste s’enfuit avec son film et son équipe chez sa tante Denise (Françoise Lebrun) dans un petit village des Cévennes pour terminer coûte que coûte le tournage.
Sur place, l’équipe réduite a du mal à canaliser l’inspiration de Marc qui part dans tous les sens. Alors qu’autour de lui le doute et l’agacement s’installent, le jeune cinéaste a une illumination ! Marc se lance dans un nouveau projet en parallèle du film : l’écriture d’un Livre des Solutions. Un recueil de conseils pratiques très simples qui pourraient être la solution à tous leurs problèmes…
(Re)création récréative
Pour son premier long métrage depuis Microbe et Gasoil (2015), Michel Gondry joue la carte de la sincérité autobiographique. Le Livre des Solutions s’impose comme son film de fiction le plus personnel. Le réalisateur lève en effet le voile sur une période compliquée dans sa vie de cinéaste à travers un alter égo incarné par Pierre Niney, son filleul de cinéma depuis le Festival de Cannes de 2012, qui débarque chez sa tante Denise pour terminer son film envers et contre tous.
Dans la réalité, la tante de Michel Gondry s’appelle Suzette. Une aînée bien aimée auquel il a consacré son film documentaire L’épine dans le cœur (2009). Elle est incarnée par la touchante Françoise Lebrun vue récemment dans Vortex (2021) de Gaspar Noé – lire notre critique. Par souci de réalisme – un terme toujours à prendre avec des pincettes dans l’univers de Gondry -, Le Livre des Solutions est tourné dans la maison de Suzette.
Mais tourner dans le village de ses souvenirs n’est pas seulement un moyen pour Michel Gondry de coller au mieux à la réalité des faits. Difficile d’ailleurs d’imaginer que le cinéaste ne se laisse pas aller à une part de recréation poétique du passé sous forme récréative. Il assure toutefois que certaines des scènes les plus improbables se sont réellement déroulées ainsi ! Ce retour dans la maison familiale permet surtout de rendre hommage à sa tante Suzette qui a toujours été une supportrice inconditionnelle de ses expérimentations les plus loufoques.
Sympathy for the chaos
Et du soutien il en faut pour que l’effarant château de cartes baroque créé par Marc ne s’effondre pas sous le poids de la réalité maussade de notre monde. Avec cette plongée nostalgique, Michel Gondry rend un magnifique hommage à Suzette mais aussi à ses collaborateurs les plus proches. Des appuis indispensables à son extravagance dans une position parfois ambiguë entre admiration, crainte et exaspération.
Au premier plan, sa monteuse Charlotte (Blanche Gardin) et son assistante Sylvia (Frankie Wallach) doivent au quotidien tenter de cadrer le déluge épuisant des idées et volte-face de Marc. Du jour au lendemain, il peut ainsi décider de bouleverser la chronologie du film ou d’y inclure au milieu un court métrage animé fait maison ayant pour protagoniste… un renard ! L’escapade animée aussi drôle que loufoque imaginée par Marc est d’ailleurs bien présente dans le film… de Michel. En n’hésitant pas à montrer le côté pénible de ces crises créatives intempestives, Michel Gondry fait preuve d’une belle autodérision et déclare tout son amour et sa reconnaissance à cet entourage proche qui l’a soutenu.
A l’instar de sa monteuse qui lui avait un jour déclaré qu’elle était plus souvent inquiète pour lui qu’irritée, Gondry salue la bienveillance parfois fébrile de ses collaborateurs face à ce bouillonnement créatif aux résultats incertains. Avec le comportement parfois insupportable de Marc qui nécessite qu’il soit remis à sa place, Le Livre des Solutions porte un regard honnête et bienveillant sur le jeune cinéaste. Un équilibre qui permet à la puissance comique de Pierre Niney, très en forme, de s’exprimer pleinement en réalisateur foutraque à l’exigence épuisante mais pas antipathique.
Le bonheur est dans le fait main
En parallèle de ce film qui semble très mal engagé, Marc se lance dans la rédaction d’un livre improbable censé trouver des solutions très simples à, semble-t-il, tous les problèmes du monde. Ces courts mantras ornés de flèches pour illustrer le cheminement de sa pensée contiennent tout l’imaginaire poétique de Michel Gondry.
Cette idée que tout peut-être réglé à travers des formules simples fait écho à la création de bric et de broc, colonne vertébrale du cinéma de Gondry. De La science des rêves (2006) à la série Kidding (2018-2020) avec Jim Carrey, l’univers du cinéaste est parcouru par cette exaltation du fait main, symbole d’une honnêteté totale. Pour le cinéaste, le monde se décrit à travers ce retour à l’expression la plus simple de la création, avec ce que l’on a sous la main.
Loin des producteurs, entre-soi, en famille même. Là réside l’expression la plus pure de son cinéma, à l’instar de Jack Black et Yasiin Bey (Mos Def au générique) dans Soyez sympas, rembobinez (2008) qui recréent le catalogue de leur vidéoclub avec des films suédés. Sur ce point, les adeptes de Michel Gondry ne peuvent être que comblé.e.s par ce nouveau délire qui lève un peu le voile sur une méthode de travail dont la règle semble justement de ne surtout pas en avoir.
Simple, basique.
Prétendre tout révolutionner avec des formules très simples ne va évidemment pas sans une part de mégalomanie assumée. Pour Marc, chacune de ses actions doit être étudiée pour en tirer une réflexion. Tellement convaincu par ce qu’il est en train de réaliser, il pense pouvoir en extraire quelque chose d’encore plus grand qui le dépasserait. N’est-ce pas après tout le rôle de l’art ?
Michel Gondry assume totalement l’aspect naïf du processus. Petit, le cinéaste pensait que les mécanismes des guerres pouvaient se retrouver dans les conflits domestiques. Trouver la clé de l’un permettrait ainsi de résoudre l’autre. Une simplicité géniale pour son alter ego Marc qui rencontre la circonspection dans son entourage.
Paradoxalement, Marc qui semble avoir des solutions pour tout se refuse à regarder son film qu’il ne cesse de retravailler dans tous les sens – littéralement. Une fuite en avant créatrice donc chacun pourra tirer sa conclusion : entre peur du résultat et perte d’intérêt au fil de l’avancée du projet. À moins que le plus important soit dans le processus créatif lui-même.
Dans une scène révélatrice, Marc réunit un orchestre local pour enregistrer la bande son de son film. Problème : il n’a pas de partition. Solution : il écoute un CD puis chantonne la mélodie aux musiciens pour inspirer une musique originale. Cette scène aussi lunaire que réjouissante – et proche de la réalité – est à l’image de ce film hommage à la créativité et à ceux qui la soutiennent, malgré tout. Ainsi Le Livre des Solutions pourrait avoir pour slogan : qu’importe la méthode extravagante, pourvu que l’on ait l’ivresse créative. Un défi relevé ici haut la main.
> Le Livre des Solutions, réalisé par Michel Gondry, France, 2023 (1h42)