Dans un petit village du désert somalien nommé Paradis, Mamargade (Ahmed Ali Farah), père célibataire, cumule les petits boulots pour offrir une vie meilleure à son fils Cigaal (Ahmed Mohamud Saleban). Alors qu’elle vient de divorcer, sa sœur Araweelo (Anab Ahmed Ibrahim) revient vivre avec eux.
Dans ce pays en proie à la guerre civile et aux catastrophes naturelles, cette famille réunie par les circonstances tente de relever les défis d’un quotidien parfois aussi hostile que le désert environnant.
L’attaque des drones
Le cinéaste somalo-autrichien Mo Harawe est né et a grandi en Somalie. Après deux court-métrages remarqués, Will My Parents Come to See Me (2022) et Life on the Horn (2020), il a de nouveau choisi son pays natal comme toile de fond pour son premier long métrage. Un choix naturel pour Mo Harawe qui continue de proposer une vision différente de la Somalie, à contre-courant du regard occidental.
Le village aux portes du paradis s’ouvre ainsi avec une séquence utilisée comme référentiel dont le reste du film prend le contre-pied. Sur l’écran, un reportage de la chaîne britannique Channel 4 fait état d’une attaque de drones. Une vision occidentale déshumanisante dénoncée comme sensationnaliste par le cinéaste qui n’a selon lui rien à voir avec la réalité. Pour contrebalancer ces images désincarnées, Le village aux portes du paradis joue la carte de l’intime en captant le quotidien d’une famille dont les attaques de drones et autres bouleversements ne sont qu’un terrible contexte auquel il faut s’adapter, pour continuer à vivre et avancer, malgré tout.
Cette distance de perception avec un regard extérieur sur le pays est aussi marquée par l’esthétique du film. Le directeur de photographie égyptien Mostafa el-Kashef compose de véritables tableaux d’une beauté saisissante qui évitent l’artificialité. En accord avec le cinéaste, les tons jaunes et vert, souvent représentatifs de l’Afrique, ont été proscrits pour casser le cliché d’une représentation trop attendue du pays.
Haut potentiel
Le titre du film fait référence au nom du village où réside la famille mais il est aussi un clin d’œil au potentiel paradis que représente la Somalie. Plus grand littoral d’Afrique, ce pays de seulement 15 millions d’habitants est cependant miné par des problèmes internes et externes. Des pressions constantes qui contrarient la réalisation d’un destin national commun. Mamargade et Araweelo tentent de surpasser cette frustration en menant chacun sa propre bataille contre cette réalité étouffante.
Cette petite famille de combattants est en quête de cet Eden que le cinéaste espère à portée de main. Et pour cela, ils ne sont jamais décrits comme victimes des circonstances. Personnage d’une grande générosité qui lui joue parfois des tours, Mamargade n’abandonne jamais malgré les doutes. Une ténacité qui va de paire avec une entraide célébrée qui permet d’affronter les épreuves de la vie. Le terme de résilience est ici la norme, sans qu’il ne soit explicité.
Clan familial
Mamargade, Cigaal et Araweelo forment une famille traditionnelle mais la conception initiale du terme est ici élargie à une solidarité de toute la communauté. Au-delà des liens du sang, Le village aux portes du paradis célèbre un sens plus large du famille. Sans gouvernement en exercice et, par conséquent, sans protection de l’État, l’entraide au niveau local s’est imposée en Somalie à travers un système de clans. Une couche de protection locale et des subtilités de destins qui échappent à la vision trop globale et sans nuances décriée au début du film.
Les destins des membres de cette famille évoluent à travers leurs doutes et leurs espoirs. Ainsi Mamargade hésite à envoyer Cigaal dans un pensionnat même s’il est persuadé qu’il s’agit de la meilleure alternative pour son futur. De son côté, sa sœur Araweelo rêve d’ouvrir sa boutique de couture mais elle vient de divorcer et les banques ne prêtent pas à une femme seule. Une contrariété patriarcale qui n’arrêtera pas la jeune femme à la détermination impressionnante.
À contre-sens des images qui viennent à l’esprit lorsque la Somalie est évoquée, Le village aux portes du paradis charme par la luminosité qui se dégage de ses images chaleureuses et par sa résilience naturelle. Un paradis plein de vie et d’envies qui ne demande qu’à se concrétiser à travers les yeux du spectateur.
> Le village aux portes du paradis (The Village Next to Paradise) réalisé par Mo Harawe, France – Autriche – Somalie – Allemagne, 2024 (2h12)