L’effondrement, vie et mort du frère

L’effondrement, vie et mort du frère

L’effondrement, vie et mort du frère

L’effondrement, vie et mort du frère
Prix Les Inrockuptibles 2024

25 novembre 2024

Avec L'effondrement, Édouard Louis raconte son frère mort. Un frère assigné à rester en bas de l'échelle sociale, que l'auteur dit malade d'avoir poursuivi des rêves trop grands pour lui.

C’est l’existence et la mort de son frère, à 38 ans, qu’Édouard Louis dissèque dans L’effondrement. Un grand frère mort, littéralement, d’effondrement, conséquence d’un alcoolisme ravageur, et retrouvé au sol comme un « animal à l’agonie ». Une mort aussi prématurée que brutale. Ce n’est pas sur cela qu’Édouard Louis disserte, mais plutôt sur la relative indifférence que cette mort suscite en lui. Non, Édouard Louis ne se sent pas proche de ce frère perdu de vue depuis dix ans et pourtant, jamais il ne pourra oublier que leurs vies sont intrinsèquement liées. L’effondrement, c’est l’histoire d’une enquête qui retrace l’autodestruction de ce grand-frère qui ne vivait que pour des rêves trop grands. D’où venait sa blessure originelle (la Blessure, comme l’appelle Édouard Louis) et pourquoi le monde lui a laissé autant d’occasions de la creuser ?

À pas précautionneux, Édouard Louis retrace, en seize faits numérotés, les étapes de la vie de son frère, dont les funérailles se préparent. Il se veut le plus objectif possible.

Pour Édouard Louis, et ici rien de bien étonnant, l’explication de ce décès prématuré, tient dans la condition sociale et la silenciation dont la classe ouvrière est victime. Le frère est empêché, parce qu’il n’a pas les mots pour dire la souffrance, pour exprimer les blessures.

Dans une large partie de la classe ouvrière, les blessures psychologiques n’existent pas. Dans l’entourage de mon frère, on ne parlait jamais de traumatisme, de mélancolie, de dépression. Il existe au contraire dans les classes plus privilégiées des lieux et des institutions collectives pour évoquer ses blessures : la psychanalyse, la psychologie, l’art, la thérapie collective. Si mon frère était blessé, il n’avait aucun lieu pour le dire. (…)

Mon grand frère, seul, dans la nuit, conscient de sa propre mort à venir, sans langage pour le dire, la mort comme un flot noir et fantomatique entrer à l’intérieur de sa bouche. Comme un vomissement inversé.

Déterminismes

Il y a aussi la question de la destinée : à partir de quand les dés sont-ils définitivement jetés, à partir de quand est-il trop tard ? Et si quelqu’un était intervenu ?

Mon frère a toujours eu cette tendance à vouloir le monde, il n’a jamais su que rêver grand, jamais de petits rêves, jamais les petits rêves que la plupart des gens formulent au quotidien, trouver un pavillon, acheter une voiture, non, il n’a jamais su rêver que de gloire, et je crois que c’est la dimension de ses rêves, et le désajustement entre leur dimension et toutes les impossibilités qui ont formé sa vie, la misère, la pauvreté; le nord de la France, son destin, je crois que ce sont toutes ces contradictions qui l’ont rendu si malheureux.

Un frère malade de rêves irréalisables, parce que le déterminisme social est implacable. Il aurait fallu, sans doute, rêver petit pour survivre. Mais le frère n’a pas voulu. Le sentiment d’injustice et la rancœur sont les carburants de cette Blessure. Le frère est en deuil – « de la vie qu’il était certain qu’il aurait dû vivre, mais que quelque chose, il ne savait pas très bien quoi, le monde, la réalité, une malédiction, lui avait volé ».

Édouard Louis sociologue

Édouard Louis a émergé sur la scène littéraire française en 2013, avec En finir avec Eddy Bellegueule, premier brûlot d’une série dont on connait désormais la chanson. Celle de son enfance prolétaire malmenée par l’alcool, l’homophobie et la violence, dans ce berceau putride de la consanguinité (dixit Slate) que peut être le nord de la France. Avec L’effondrement, comme à son habitude, Édouard Louis manie l’autofiction et se fait le sociologue de son histoire familiale.

Je me souviens d’Édouard Louis en 2013, l’année où j’étais apprentie aux Éditions du Seuil. Ou plutôt d’une frêle silhouette au teint grisâtre et aux dents gâtées longeant le grand couloir en frôlant les murs comme s’il avait voulu y disparaître.

Depuis, Édouard Louis n’a pas la teneur intellectuelle, la rigueur sociologique et l’objectivité pointilleuse d’une Annie Ernaux. Ni celle de son mentor, Didier Eribon. La littérature d’Édouard Louis est inégale. Parfois et c’est regrettable, ses raccourcis sociologiques l’amènent à l’assignation identitaire. Son avant-dernier ouvrage, Monique s’évade, qui retrace la fuite de sa mère, était maigre, écrit à la-va-vite, décevant.

Cependant, j’ai bien aimé L’effondrement. L’écriture est globalement belle et juste, et Édouard Louis fait preuve d’une humilité dont on n’avait pas l’habitude. Certains effets de forme sont inutiles, mais je suis bien loin de l’avis de Beigbeder, qui a écrit dans le Figaro que L’effondrement serait un « Germinal réécrit par Calimero ».

La question que tout le monde se pose : quand Édouard Louis aura épuisé le matériel familial, que lui restera-t-il à écrire ?

Dans la biblio d’Édouard Louis, je conseille :

  • En finir avec Eddy Bellegueule, parce que c’est le premier et que le ton y est bien plus radical. Édouard Louis y débine son frère et son père, et c’est étrange de voir à quel point son ton s’est adouci aujourd’hui.
  • Changer, méthode. Mon préféré. Édouard Louis y est introspectif et peu complaisant envers lui-même.
  • L’effondrement

Livres Édouard Louis

Couverture du livre L'effondrement d'Édouard Louis

L'effondrement d'Édouard Louis

240 pages
Date de publication
4 octobre 2024
Éditeur
Editions du Seuil
Page du livre sur le site de l’éditeur