Depuis la mort de sa mère, Leigh (Frankie Box), gymnaste prometteuse de 14 ans, vit dans la banlieue de Brighton avec un père fuyant ses responsabilités. Alors qu’elle s’entraîne intensément pour sa première compétition, Joe (Alfie Deegan), un demi-frère plus âgé dont elle ignorait l’existence, débarque sans prévenir dans sa vie.
Dans les pas de cet allié imprévu, l’adolescente solitaire va découvrir un nouveau monde, rempli de défis aussi stimulants que risqués. Des sensations inédites qui la pousse à jouer avec le feu et qui lui font peu à peu perdre de vue une compétition devenue dérisoire.
Lâcher prise maîtrisé
Pour préparer son premier long métrage, la jeune réalisatrice écossaise Eva Riley s’est plongée dans l’univers de la gymnastique artistique pendant de nombreuses semaines. Elle s’est imprégnée de son exigence, rapidement conquise par ce sport où prouesse technique et sensibilité artistique se mêlent intimement. Cette activité sur le fil entre en résonance avec les états d’âme de la jeune Leigh, déstabilisée par l’arrivée inattendue d’un frère apportant dans ses bagages l’étincelle de rébellion qu’elle semblait attendre sans le savoir.
Délaissée par son père et moquée par ses camarades de vestiaire, Leigh sort de sa solitude grâce à cet adolescent aussi perdu qu’elle. Elle se retrouve rapidement à la croisée de chemins divergents : tiraillée entre l’exigence canalisatrice de la gymnastique et l’expérience inédite — donc terriblement séductrice — d’actes répréhensibles auprès de ce frère inespéré.
L’impro des non pros
Dès le début du projet, Eva Riley fait le choix de privilégier l’authenticité à l’aspect professionnel, du moins en ce qui concerne le casting. Plutôt que d’apprendre à une actrice confirmée à faire quelques mouvements de gymnastique pour donner le change, Leigh devait être une réelle sportive dans l’esprit de la cinéaste. Un pari risqué qui s’est étendu au-delà du rôle clé de l’adolescente. Alfie Deegan qui incarne le demi-frère a pour sa part été repéré lors d’un casting sauvage. Alors menuisier depuis un an et demi, il a délaissé ses outils pour former avec la jeune gymnaste un duo très convaincant à l’écran.
Avec ce choix téméraire d’acteurs amateurs, la réalisatrice réussit à capter l’énergie adolescente sublimée par l’alchimie évidente entre les deux jeunes acteurs. En laissant les deux novices improviser devant la caméra, la cinéaste a nourri ses personnages de la vérité de leurs interprètes. Il en résulte un attachement particulier pour ces deux ados solitaires qui se découvrent une appétence pour une fraternité inespérée qui les unit pour le meilleur et pour le pire.
Salto avant périlleux
D’abord méfiante envers l’inconnu surgit de nulle part, Leigh s’attache à Joe qui s’impose peu à peu comme un soutien face à un père qui est aux abonnés absents. La jeune gymnaste découvre son univers : celui de la débrouille, du trafic de deux roues et son entourage peu fréquentable. Attirée par ce milieu interlope et excitant, elle suit ce frère intrépide dans ses magouilles. Au risque de définitivement lâcher la gymnastique, symbole de sa vie d’avant, parsemée d’efforts pas toujours récompensés.
Auprès de Joe, Leigh découvre une existence plus simple — du moins en surface — et une émancipation salvatrice. Alors que les sensations fortes de l’illégalité lui font pousser des ailes, Joe prend conscience de sa toute nouvelle responsabilité en tant que grand frère. L’envolée capture avec tendresse la réunion de ces deux adolescents délaissés qui cherchent à se construire un avenir commun, sur des chemins de traverses.
Avec sa fratrie désabusée et attachante, L’envolée saisit la fougue adolescente dans sa complexité, entre rébellion et besoin d’être considéré. Deux faces d’une même pièce que seule la maturité — un bien grand mot pour un concept si inconstant — permet de faire tenir sur la tranche. À l’image d’une gymnaste en équilibre délicat sur la poutre.
> L’envolée (Perfect 10), réalisé par Eva Riley, Royaume-Uni, 2019 (1h23)