En cette rentrée et alors que ma toute petite fille retourne à la crèche, suis-je masochiste de m’attaquer au nouvel essai de Victor Castanet ? Après les Ehpad (Les Fossoyeurs, prix Albert Londres 2022), le journaliste s’attaque au deuxième groupe le plus vulnérable de l’échelle générationnelle : nos tout-petits.
Depuis que le secteur des crèches a été libéralisé par l’État en 2004, d’aucuns, dont Christophe Durieux, fondateur de People & Baby, y voient un filon rentable et juteux à saisir. Peu importe qu’il s’agisse de la prise en charge d’un public des plus vulnérables.
Je me doutais de ce que j’allais y trouver, mais le lire, noir sur blanc, étayé par des faits sourcés et chiffrés, donne le vertige. Il y a ces couches qu’on limite, ces repas sur lesquels on rogne, ces commerciaux qui surbookent des berceaux comme de vulgaires places dans un avion.
Il y a ces professionnelles précaires dégoûtées de leurs propres pratiques mais corsetées par la peur de perdre leur job qui finissent par supplier, en douce, les parents de retirer leurs enfants d’établissements et ces employées inexpérimentées auxquelles on laisse des responsabilités qui ne devraient pas leur incomber à cause d’un turn-over abyssal. Pis encore, ces dérives de personnels qui n’ont rien à faire faire dans ce milieu-là, parce que le diplôme et le job sont faciles à obtenir, qui punissent et briment des tout-petits, leur administrent des sévices corporels, les enferment dans le noir. Des enfants qui sont victimes de stress post-traumatique et grandissent de travers parce que des adultes ont piétiné leur innocence.
Il y a ces nombreuses alertes pourtant restées sans réponse jusqu’au drame qui aura lieu en 2022 dans une crèche lyonnaise du groupe People & Baby, et se soldera par la mort d’un bébé de onze mois qu’une puéricultrice aura forcé à ingérer du Destop WC.
En avril 2024, les actionnaires de People & Baby ont, quelques temps avant la parution des Ogres, décidé d’éjecter Durieux du groupe qu’il a créé, même s’il en demeure l’actionnaire majoritaire. Le pire dans tout cela, c’est que ni la mort de la petite Lisa, ni les faits pointés du doigt dans le livre Babyzness paru en 2023 ne sont à l’origine de cette décision, simplement motivée par l’endettement abyssal du groupe.
Ce nouvel opus de Castanet est d’utilité publique. Car il n’y a que par ce type de coup de poing que l’État se réveille. Un État qui est éminemment responsable. D’avoir laissé nos plus petits aux mains du marché et de ceux, grassement subventionnés, dont la volonté d’enrichissement efface toute humanité, toute miséricorde et tout scrupule. D’offrir des conditions de travail et des salaires si peu attractifs à celles et ceux qui veillent et soignent les plus vulnérables d’entre nous, à tel point qu’il manque 10 000 personnels de la petite enfance en France. Un pays dont le Président a dernièrement prôné le réarmement démographique, ce qui n’est autre, qu’à la lecture de ces faits, un manque criant de décence.
« L’homme est un loup pour l’homme », disait Hobbes. Les ogres n’ont donc jamais cessé de manger nos enfants.
> Les Ogres de Victor Castanet, 416 pages, éditions Flammarion, 2024