« Les ombres persanes », la traque des clones

« Les ombres persanes », la traque des clones

« Les ombres persanes », la traque des clones

« Les ombres persanes », la traque des clones

Au cinéma le 19 juillet 2023

Un couple vivant à Téhéran découvre avec stupeur l'existence d'un autre couple qui leur ressemble trait pour trait. Passé le trouble, une histoire d'amour se noue, menacée par la manipulation. Manipulant habilement le thème du sosie dérangeant, Les ombres persanes tisse la toile d'un thriller trouble et implacable. Un piège d'autant plus efficace qu'il joue sur la carte d'une altérité à l'apparence familière, miroir aux multiples possibilités.

Farzaneh (Taraneh Alidoosti) est persuadée d’avoir aperçu son mari Jalal (Navid Mohammadzadeh) dans les rues de Téhéran. Jalal lui assure pourtant que c’est impossible car il était en train de travailler à l’autre bout de la ville à ce moment-là. Lorsqu’elle retrouve Mohsen, l’homme qu’elle a vu dans la rue, Farzaneh doit se rendre à l’évidence : il est le sosie de son mari.

Encore plus incroyable, Mohsen est marié avec Bita, une jeune femme qui est le double de Farzaneh. Passé la surprise et l’incompréhension, Farzaneh et Mohsen se rapprochent de façon troublante. La reconfiguration des deux couples jumeaux sème peu à peu la confusion dans un climat de manipulation.

Les ombres persanes © Films Boutique - Majid Film Production - Dark Precursor Productions - Diaphana Distribution

Tous sosies

L’idée de travailler sur le thème du double est venu à Mani Haghighi par son coscénariste Amir Reza Koohestani, également metteur en scène de théâtre. Alors que celui-ci travaillait sur la traduction d’une pièce horrifique intitulée Le nombre, le cinéaste iranien a été intrigué par son sujet : un père décide de cloner son fils qui vient de mourir. Terrifié, il découvre que sa progéniture a été dupliqué une centaine de fois lors du processus.

De quoi exciter l’imagination du réalisateur qui a lui-même vécu l’expérience d’avoir croisé un sosie. Lors d’une exposition en Iran, Mani Haghighi a en effet cru se reconnaître sur un cliché pris lors du conflit entre l’Iran et l’Irak. Il est troublé par la ressemblance avec ce soldat présent sur la photo. Un inconnu qu’il considère alors comme son double parfait. Une expérience troublante explorée dans ce nouveau film labyrinthique qui joue avec notre fascination pour notre propre dualité incarnée.

Les ombres persanes © Films Boutique - Majid Film Production - Dark Precursor Productions - Diaphana Distribution

Double clone

Selon le mythe bien connu, toute personne posséderait sur Terre sept sosies. Pourtant, selon les scientifiques, le double parfait est plus qu’improbable : une chance sur 1000 milliards ! En réalité, la perception d’un sosie reste très subjective et dépend de l’œil qui observe.

Cette légende des sept sosies en dit beaucoup sur notre fascination face à la probabilité de se retrouver en face d’un doppelganger surgissant dans notre réalité. Cet autre individu qui représente une autre version de soi, identique du point de vue de l’enveloppe corporelle, est une somme de possibilités matière à fantasmes.

Après 9 ans de travail sur le scénario, Mani Haghighi s’engouffre dans cette brèche de l’altérité mystérieuse en créant un couple de sosies. En rendant la situation encore plus improbable, Les ombres persanes flirte avec le fantastique mais traite la situation de façon très concrète. En venant bousculer ces deux unions, le thème de l’infidélité est au cœur de cette reconfiguration des passions.

Les ombres persanes © Films Boutique - Majid Film Production - Dark Precursor Productions - Diaphana Distribution

Meta version de soi

Sur le fil, Les ombres persanes assume son statut d’œuvre trouble où le fantastique côtoie ainsi le social. Progressivement, l’enquête amateure de Farzaneh la fait basculer dans une réalité qui semble parallèle. Un autre monde de possibilités s’offre à elle dans lequel elle entraîne son mari et l’autre couple. Tous se retrouvent au cœur de ce tourbillon où chacun tente de surnager selon ses intérêts.

Face à son clone, l’imagination de Farzaneh est invitée à imaginer une vie différente, le double faisant office d’avatar d’autant plus troublant qu’il est réel. De ce jeu de miroirs déformants, Mani Haghighi tire un thriller psychologique autant que philosophique. Un jeu de doubles pas dupes sur lequel plane également la question politique.

En ouvrant la possibilité d’une altérité symbole de liberté, le cinéaste offre une alternative à ses personnages. Une autre existence possible, à l’abri du fondamentalisme imposé par le pouvoir et la croyance de son pays. Thriller flirtant avec le fantastique, Les ombres persanes est aussi parcouru par un subtil sous-texte politique présent dans les reflets du miroir.

Les ombres persanes © Films Boutique - Majid Film Production - Dark Precursor Productions - Diaphana Distribution

Sombre choix

Au cœur de ce jeu de vrais semblants, Taraneh Alidoosti et Navid Mohammadzadeh, récemment réunis dans Leïla et ses frères (2022) de Saaed Roustaeelire notre critique – forment un couple dédoublé particulièrement troublant. Sur conseil du cinéaste, ils incarnent leurs doubles sans forcer le trait de l’altérité avec un résultat saisissant.

Au cœur de cette expérience déroutante, Farzaneh se demande si elle ne s’est pas trompée d’existence. Et si le hasard, la destinée, ou une puissance supérieure avait fait une erreur lors de la distribution des cartes ? Et si sa place était près de Mohsen ? Confrontés à une version de leur existence, les protagonistes de cette situation déconcertante redécouvrent une liberté vertigineuse. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’un des couple a un enfant et que l’autre n’a jamais pu en avoir.

En refusant de donner une explication à la présence de ces doubles, Les ombres persanes renforce l’aspect philosophique de ce miroir reflétant ce qui aurait pu être leur vie. Une promesse qui vient éclaircir l’atmosphère sombre et humide du film. Du début à la fin, les protagonistes sont effet douchés par une lourde pluie battante.  Symbole d’un destin qui reste malgré tout implacable ?

Les ombres persanes © Films Boutique - Majid Film Production - Dark Precursor Productions - Diaphana Distribution

Thriller au scénario aussi inconcevable que saisissant, Les ombres persanes manipule ses personnages et notre attraction immodérée pour les sosies. En laissant volontairement planer des zones d’ombres, Mani Haghighi nous renvoie avec malice à notre fascination pour une altérité familière, aussi crainte que fantasmée. Et, au-delà du miroir, notre (in)capacité à encaisser le choc d’une existence alternative.

> Les ombres persanes (Tafrigh), réalisé par Mani Haghighi, Iran – France, 2022 (1h47)

Les ombres persanes (Tafrigh)

Date de sortie
19 juillet 2023
Durée
1h47
Réalisé par
Mani Haghighi
Avec
Taraneh Alidoosti, Navid Mohammadzadeh, Esmail PoorReza, Farham Azizi
Pays
Iran - France