« The Lighthouse », voyage au bord de l’amer

« The Lighthouse », voyage au bord de l’amer

« The Lighthouse », voyage au bord de l’amer

« The Lighthouse », voyage au bord de l’amer

Au cinéma le 18 décembre 2019

Bloqués sur une île isolée de la Nouvelle-Angleterre, deux gardiens de phare tentent de ne pas succomber à la folie. Trois ans après la révélation The Witch, Robert Eggers est de retour avec un nouveau cauchemar tout aussi saisissant. Huis-clos hypnotique, The Lighthouse joue avec les nerfs des spectateurs dans ce face à face paranoïaque et halluciné, malaisant du début à la fin.

Dans les années 1890, Ephraim Winslow (Robert Pattinson) quitte ses activités de bûcheron pour devenir gardien de phare sur une île reculée de la Nouvelle-Angleterre. Pour l’assister dans sa tâche, il a pour partenaire Thomas Wake (Willem Dafoe), un vieux gardien de phare bourru et mystérieux.

La situation devient critique lorsqu’une tempête particulièrement violente isole les deux hommes du reste du monde. Les jours passent et la relève ne vient pas. Peu à peu, l’attente fait place à l’inquiétude chez le jeune Ephraim et l’isolement sème insidieusement les germes de pensées hallucinées.

The Lighthouse © 2019 A24 Films

Avant la sorcière

Cette histoire de deux gardiens de phare flirtant dangereusement avec la démence est un projet de longue date pour Robert Eggers. Alors qu’il peinait à trouver les financements pour son remarquable premier long métrage The Witch (2015) [lire notre chronique], le cinéaste co-écrit avec son frère Max le scénario de ce drame d’épouvante moderne se déroulant dans un phare anxiogène. Finalement, c’est l’histoire évoquant la sorcellerie qui convainc les producteurs.

The Lighthouse devra patienter près de quatre ans pour voir le jour, finalement monté grâce au succès du premier film. Les deux projets écrits à la même époque ont un point commun : ils partagent la même obsession de l’isolement. En coupant du monde les deux gardiens de phare, comme l’était la famille dans The Witch, le réalisateur explore les tréfonds de l’âme humaine. Une nouvelle fois, les personnages de Robert Eggers se retrouvent en marge de la société. Dans cette zone grise où les règles ne sont plus applicables, la morale est fragile et les fantasmes libérés.

The Lighthouse © 2019 A24 Films

Les deux Thomas

Pour imaginer les événements se déroulant dans son phare maudit, Robert Eggers a été inspiré par une tragédie survenue en 1801. Cette année-là, deux gardiens de phare gallois, tous les deux prénommés Thomas, se retrouvent isolés du reste du monde par une tempête. Suite à un accident, le plus vieux décède laissant son collègue désemparé. Persuadé qu’il sera accusé de la mort du vieil homme, le gardien de phare survivant devient fou.

Après des semaines de cohabitation avec le cadavre, il fabrique un cercueil de fortune qu’il attache à une fenêtre à l’extérieur du phare. La tempête aura finalement raison de la caisse bricolée et la dépouille finira exposée au pied du phare. Détail macabre : quelques jours plus tard, l’équipage d’un navire de passage près du phare saluera la silhouette lointaine sans se rendre compte qu’il s’agissait d’un cadavre. Le survivant sera finalement rapatrié sur la terre ferme, marqué à vie.

The Lighthouse © 2019 A24 Films

Fusion confuse

Robert Eggers s’éloigne de ce drame dans son film mais les thématiques de l’isolement et de la santé mentale animant cette tragédie sont omniprésentes dans The Lighthouse. Le fait que les deux gardiens de phare portaient le même prénom a particulièrement marqué le cinéaste. Loin de tout, le jeune Ephraim et le vieux loup de mer n’ont pas d’autre choix que de s’entraider pour survivre en attendant la relève. Malgré sa méfiance initiale, Ephraim apprend à faire confiance à ce mystérieux collègue.

De fait, l’isolement du reste du monde rapproche les deux hommes qui discutent, chantent et boivent, énormément, pour faire passer le temps. Chacun agit comme un miroir pour l’autre. Ephraim n’est-il pas condamné à devenir ce gardien endurci ? Loin de toute représentation sociale, le face à face trouble la représentation de soi…. au point d’y perdre son identité.

The Lighthouse © 2019 A24 Films

Phare away

Loin de tout, une paranoïa grandissante contamine Ephraim. Le jeune homme trouve de plus en plus troublant le comportement du vieux gardien qui s’isole en haut du phare lors de rituels mystérieux. Ephraim assiste à des évènements étranges, à moins qu’il ne les fantasme. Robert Eggers joue habilement avec nos nerfs dans ce cauchemar éveillé où rien ne semble totalement réel, à commencer par les deux gardiens de phare, de plus en plus insaisissables.

Et le doute de s’installer : et si Thomas était le fruit de l’imagination d’Ephraim, à moins que ça ne soit l’inverse ? Avec ce huis-clos ésotérique, Robert Eggers ne cesse d’ouvrir des portes dont les issues sont incertaines. Le cinéaste instaure une ambiance de plus en plus surréaliste alors que monte la tension. Une sensation malaisante de flottement accompagne ce conte cruel et paranoïaque sur l’isolement qui s’offre le luxe de quelques pointes humoristiques sans jamais sacrifier l’ambiance générale.

The Lighthouse © 2019 A24 Films

Et la lumière tue

Énigmatique, The Lighthouse captive grâce aux performances intenses de Robert Pattinson et Willem Dafoe, servis par une réalisation soignée et particulièrement oppressante. Avec son format d’image proche du carré, Robert Eggers enferme les deux protagonistes dans un espace de cinéma confiné, symbole à la fois du phare exigu et d’un esprit contraint à ressasser en boucle les mêmes idées noires. Véritable tempête auditive, la musique composée par Mark Korven — qui avait composé la BO de The Witch — accompagne parfaitement le parcours hallucinatoire du jeune gardien.

Aux bruits stridents se mêlent des sons évoquant des cornes de brumes et les chants plaintifs des baleines, à moins qu’il ne s’agisse de sirènes dangereusement envoûtantes. L’image en noir et blanc — mais surtout en nuances de gris — semble consumée par les halos des rares sources lumineuses. Le phare, cette « maison de la lumière », censé guider les hommes à travers les ténèbres devient le temple de la confusion dont la clarté est aussi envoûtante que dangereuse.

Dans la lignée de The Witch, Robert Eggers signe un second film captivant qui enferme le spectateur dans une spirale de paranoïa où tout peut être remis en cause. Délicieusement oppressant, The Lighthouse est un cauchemar sans fin où se révèlent les failles de l’identité. Loin de tout, dans un phare qui ne guide plus personne.

> The Lighthouse, réalisé par Robert Eggers, Canada – États-Unis, 2019 (1h49)

The Lighthouse

Date de sortie
18 décembre 2019
Durée
1h49
Réalisé par
Robert Eggers
Avec
Robert Pattinson, Willem Dafoe
Pays
Canada - États-Unis