"L'Inconnu du lac" a fait beaucoup parler de lui au dernier Festival de Cannes. Applaudi par des critiques quasi unanimes, le film d'Alain Guiraudie est reparti de la Croisette avec le prix de la mise en scène de la sélection Un certain regard, ainsi qu'avec la Queer Palm, qui récompense un long métrage pour son traitement des thématiques homo, bi ou trans.
"L'Inconnu du lac" a aussi beaucoup fait parler de lui, quelques jours avant sa sortie, lorsque les mairies de Saint-Cloud et Versailles ont demandé le retrait des affiches sur leur territoire. Des habitants outrés avaient appelé leurs municipalités pour dire leur indignation de voir ce dessin de deux hommes s'embrassant exposé à la vue de tous, et notamment des plus jeunes. Certains ont vu, en arrière-plan, un homme prodiguer une fellation à un autre. Une gâterie qui n'est pas évidente pour tout le monde – d'autres y voient un sportif faire des pompes entre les jambes d'un ami – mais qui ne saute pas franchement aux yeux : seule une observation attentive de l'affiche permet de déceler ce détail. Oui, il s'agit bien d'une fellation et, si cette affiche vous choque, elle présente cet avantage de vous signaler que ce film n'est pas pour vous.
Un huis-clos à ciel ouvert
"L'Inconnu du lac" assume pleinement son environnement – un lieu de drague où les hommes viennent en quête de partenaires sexuels occasionnels – et ne joue pas les effarouchés devant l'homosexualité des protagonistes. Ici, des hommes – que des hommes, pas une seule femme n'apparaît à l'écran – bronzent nus au bord de l'eau. Ils font l'amour. Et Guiraudie nous les montre sans nous faire un dessin. N'attendez donc pas de hors champ pudique…
On y voit un jeune homme, Franck, sympathiser avec Henri et tomber amoureux de Michel, un moustachu énigmatique. La vie suit son cours. Un drame viendra à peine la perturber. Le film se plaît à répéter plusieurs fois des scènes quasiment identiques (l'arrivée en voiture, l'installation sur la plage…) et impose son rythme lancinant. Le soleil donne, le vent affole la végétation, l'eau du lac donne envie d'y piquer une tête… Il n'y a nul autre décor que ce petit territoire de liberté, qui semble hors du monde et du temps, donnant une impression de huis clos en plein air. Le film fonctionne sur ces contrastes : le lieu est paradisiaque, mais à la nuit tombée, il devient un théâtre effrayant ; les hommes s'aiment, ils se tuent aussi ; l'hédonisme y est à son aise, la mélancolie y trouve quand même sa place ; ces hommes se rencontrent et se parlent facilement, leur solitude n'en est pas pour autant forcément moins grande…
Il est difficile de classer le film. Il emprunte aussi bien à la comédie ou au thriller qu'au mélodrame, au film romantique ou au genre horrifique ou pornographique. "L'Inconnu du lac" est une oeuvre hors norme, qui fait se rencontrer Hitchcock et Rohmer. Certains s'arrêteront aux scènes sexuelles et ne retiendront que cela. Dommage : car le film démontre que l'impudeur ne réside pas dans l'exhibition des corps, mais dans ces sentiments et émotions qui nous agitent et que l'on confie toujours mal, lorsque l'on ne décide pas simplement de les taire. Ce qui est le plus émouvant et romantique est d'ailleurs de voir ces hommes considérer un dîner ou une nuit passée avec l'être aimé comme un désir difficilement avouable.
> L'Inconnu du lac d'Alain Guiraudie, France (1h37)