Il est allé où nul ne s’était aventuré avant lui. Précurseur, provocateur, mythique, Stanley Kubrick était tout cela à la fois. Plus d’une décennie après sa mort (en 1999), le réalisateur d’Orange mécanique fascine encore et toujours, laissant derrière lui une œuvre qui a épousé tous les genres avec succès. Treize films (seulement) en 46 ans de carrière qui sont autant de voyages pour le spectateur dans un univers souvent sombre mais jamais égalé.
Martin Scorsese, fidèle de la première heure, se souvient. « Avec Dr Folamour, il a quasiment inventé un genre, celui de la comédie noire. Avec 2001, l’Odyssée de l’espace, il a jeté, à lui seul, les bases du film de science-fiction moderne. Avec Orange Mécanique, il a pressenti l’esthétique punk. Avec Barry Lyndon, il est parvenu à créer quelque chose de si extraordinaire, si mystérieux et si profondément sensible que je me demande souvent si ce chef d’œuvre a bien été perçu pour ce qu’il est. »
C’est cette capacité à se redéfinir en tant que cinéaste ainsi qu’à redéfinir le 7e art et l’étendue de ses possibilités qui fascinent toujours chez Kubrick. Il rêve et réinvente le cinéma à lui seul.
Dès les années 1960 déjà, il occupe aux Etats-Unis une place tout à fait à part dans l’industrie cinématographique. Il s’émancipe peu à peu de la mainmise des Studios. Dépossédé en partie du contrôle de Spartacus (Kirk Douglas fit refaire le montage dans son dos), il part s’exiler en Angleterre où il finira par prendre sa revanche, en imposant ses propres règles à Hollywood (la MGM, puis la Warner lui donneront carte blanche).
Kubrick met en place en Grande-Bretagne un système d’indépendance idéale. C’est de cette tour d’ivoire qu’il conçoit les films les plus ambitieux du cinéma moderne. Travailleur acharné, homme du contrôle absolu, il cultive une exigence obsessionnelle de la perfection de son travail. Stanley Kubrick vit comme un reclus, inquiet et prisonnier de son génie.
Cinéaste de la violence et de la folie des hommes, Kubrick s’est attaché à filmer la réalité comme un rêve, ou plutôt comme un cauchemar.
Nombreux furent ses détracteurs qui trouvaient son cinéma monstrueux et trop indifférent envers l’humanité. Certes Kubrick n’était pas optimiste sur le devenir de celle-ci, et bien qu’il l’ait observée de très haut (traduit à l’écran par de nombreuses plongées, souvenez-vous de cette somptueuse séquence d’ouverture de Shining en caméra aérienne), le cinéaste n’en était pas pour autant dénué de toute compassion envers les Hommes.
Frapper l’imaginaire et les fantasmes des spectateurs
Qu’il s’agisse de Barry Lyndon, de l’écrivain raté de Shining, ou de l’astronaute de 2001, l’Odyssée de l’espace, Kubrick se penche sur le destin d’hommes perdus dans une société moderne qui s’essaie à la perfection (technique dans 2001) mais qui n’échappe pas au désordre et au chaos.
Cinéaste du cerveau par excellence, pour Gilles Deleuze, chez Kubrick, « le monde lui-même est un cerveau. Il y a identité du cerveau et du monde, tels la grande table lumineuse de Dr Folamour, l’ordinateur géant de 2001, l’hôtel Overlook de Shining ». Kubrick n’en reste pas moins un cinéaste spectaculaire. Chaque film étant l’occasion de frapper encore un peu plus l’imaginaire et les fantasmes des spectateurs.
Le point d’orgue de cette virtuosité visuelle reste sans conteste son chef-d’œuvre, 2001, l’Odyssée de l’espace. « J’ai tenté de créer une expérience visuelle qui aille au-delà des références verbales habituelles et qui pénètre directement le subconscient de son contenu émotionnel et philosophique », dira-t-il à la sortie du film en 1968. Kubrick sait clairement y faire pour rendre le spectateur tout petit face à l’immensité des choses.
Space-opéra d’une beauté hypnotisante, film avant-gardiste, 2001 demeure l’aboutissement d’une œuvre au goût d’éternité et au parfum d’absolu.
La rétrospective
Tous les cinéphiles laissés orphelins ce matin du 7 mars 1999 attendaient avec intérêt cette fameuse rétrospective. 2011 voit leur patience récompensée. Jusqu’au 31 juillet, la Cinémathèque française dédie une exposition au maître Kubrick.
Son immense et précieux fond d’archives y est présenté, dont les pages du scénario du projet inachevé sur Napoléon, que Kubrick annonçait à l’époque comme « le meilleur des films jamais réalisés ».
Crée en 2004 par le Deutsches Filmmuseum de Francfort, l’exposition débarque enfin à Paris, accompagnée de la projection intégrale de ses films, ainsi que des rencontres et conférences.
Cinémathèque française, 51 Rue de Bercy, Paris XII. Tél. : 01.71.19.33.33.