Est-ce le port d’Húsavík (2 200 habitants), capitale européenne de l’observation des baleines, le mammifère le mieux équipé de la planète ? Est-ce dû à son prénom, que des lacaniens transformeraient aisément en « cigare dur » ? Qu’est-ce qui a bien pu pousser Sigurdur Hjartarson à monter un musée du phallus dans un important port de pêche du nord de l’Islande, en lisière du cercle Arctique (il a débuté à Reykjavik) ? A la barre de ce lieu insolite depuis 1997, le boss(e) n’a qu’une explication : une passion de collectionneur.
Derrière le bureau d’accueil, téléphone en forme de sexe masculin à portée de main, le fils de Hjartar estime que tout a commencé par l’utilisation, enfant, d’un fouet fabriqué avec un pénis séché de taureau pour aller faire paître les vaches. Très attaché à l’objet, le jeune homme s’est alors mis en quête d’autres trouvailles toutes aussi incongrues et s’est lancé le défi de mettre la main sur l’intégralité des sexes de la faune mammifère islandaise.
Opiniâtre, ce professeur d’histoire et directeur d’école s’est retrouvé, à l’approche de la retraite, en mesure d’ouvrir le Grévin de la bite. Sans conteste un des musées les plus originaux du monde, à ranger aux côtés des musées de la tondeuse à gazon de Southport (Angleterre), des toilettes de New Delhi, du corbillard dans le Tarn-et-Garonne ou de son cousin d’Outre-Atlantique, le musée… de la banane.
« Enfin, il va devenir possible d’étudier de façon approfondie, ce Musée en soit loué, les phallus d’une façon systématique et scientifique », indique le plus sérieusement du monde la notice explicative du site internet du musée. L’endroit fait plutôt songer aux cabinets de curiosité du début du siècle dernier. Il est constitué de 276 phallus présentés dans du formol, séchés ou empaillés et le plus souvent entiers ; mais aussi d’environ 300 objets d’art, bizarreries, provocations et autres dédicaces comme les moulages des sexes des handballeurs islandais médaillés d’argent aux Jeux Olympiques de Sydney ou la photo d’un Islandais posant à côté d’un immense pénis de neige.
Les travaux d’artistes locaux illustrant le thème pimentent avec verve le propos. Tous les objets de l’espace d’exposition renvoient au sujet traité : cannes, fouets, fer à repasser, porte-manteaux et même abat-jours, fabriqués dans la peau de testicule.
La baleine bleue éjacule 70 litres
La partie scientifique est composée de cinquante-cinq pièces provenant de dix-sept espèces de cétacés, un attribut d’ours, trente-six pièces provenant de sept espèces de phoques et de morses, et vingt espèces de mammifères terrestres sont représentés par 115 organes. Le clou de la visite réside, bien évidemment, dans la vision saisissante du membre d’une baleine bleue. L’immense pieu du mastodonte affiche les mensurations d’un homme. 70 kilos et 1,70m. Et encore, seule la partie externe est présentée. « Le pénis complet doit mesurer cinq mètres et peser entre 350 à 450 kilos. Il faut dire que l’animal pèse 50 tonnes », indique Sigurdur, qui prend le soin de guider chaque visiteur (11 000 chaque année, de mai à septembre). Ajoutons que chaque testicule pèse dix kilos et que l’animal éjacule plus de 70 litres lors de « l’orgasme ». Imaginez chez une baleine à bosse. Pour relativiser, si une baleine bleue mesurait la taille d’un homme, son sexe mesurerait seulement 10 centimètres.
Les anecdotes fourmillent, les chiffres jaillissent laissant songeur, admiratif, surpris ou écœuré. On retiendra que les phallus de phoque et de morse sont pourvus d’un os central d’une trentaine de centimètres qui leur garantit la rigidité en toutes circonstances et par n’importe quel temps ! Que la taille du pénis d’un gorille de 200 kilos est de cinq centimètres ! Une autre vedette semble transpercer le mur. Le double mètre de l’éléphant. Le plus gros et aussi le plus grand pénis en rapport avec la taille.
« J’aurais dû l’étirer et le coudre à l’arrière »
A l’entrée, un tableau retient l’attention. Il s’agit du poster d’anatomie de Jim Knowlton, récompensé d’un prix Nobel parodique en 1992. Intitulé Les pénis du règne animal, il propose un classement comparatif des principaux sexes, par ordre de taille. La baleine y triomphe. Elle est suivie de l’éléphant, de la girafe, du taureau, du cheval, du cochon, du bélier, du chien et, en dernière position, de l’homme, seul mammifère à ne pas avoir d’os au niveau du pénis. Consolation, le pénis humain est proportionnellement parmi les plus grands de tous les primates.
Ce poster prend véritablement tout son sens depuis peu. En avril dernier, Sigurdur a reçu la pièce qui manquait cruellement à sa collection. Un pénis humain. Celui de son ami, Pall Arason, décédé en janvier à l’âge de 95 ans et qui s’y était engagé par acte notarié dès 1996. « Pall Arason adorait être sous les feux de la rampe. C’était un gars très drôle. Un pionnier du tourisme islandais et un célèbre séducteur. Il avait un côté frimeur et prétentieux et aimait la provocation ». Fier de ses prouesses sexuelles, il pensait alors que l’exposition de son pénis à Húsavík lui assurerait une renommée éternelle. L’opération a été effectuée en janvier 2011, à l’hôpital d’Akureyri, ville voisine.
Malheureusement, l’exposition de ces estampes japonaises, manque d’éclat. « J’aurais dû l’étirer et le coudre à l’arrière pour le garder plus ou moins dans une position normale, mais l’erreur a été de le mettre directement dans le formol, où il est devenu raide quasi immédiatement. Mais, j’en aurai bientôt un plus jeune, plus grand et plus beau », se reprend Sigurdur. Le directeur du musée a reçu une promesse de don d’un Britannique, d’un Allemand et même d’un Américain prêt à le lui céder… de son vivant.