Camilo (Alejandro Pérez Ceferino), Mechas (Esteban Alcaraz), Manu (Maria Camila Castrillón), Ana (Maria Angélica Puerta) et Pipa (Luis Felipe Álzate), cinq amis à la sortie de l’adolescence, survivent à la périphérie de Medellín, ville hostile qui les attire autant qu’elle les exclue. Entre espoir et dure réalité, ces « Nadie » (« personne » en français) se retrouvent autour du street art, de la musique et de l’art de rue pour tenter de s’extraire de leur situation. Avides de voyages et de liberté, ils prévoient de tout quitter pour partir à l’aventure, les poches vides mais avec l’espoir d’un avenir plus clément.
Enfants de personne
Prévu au départ comme un court-métrage qui s’est étoffé au fil de sa préparation, Los Nadie se base sur l’expérience du réalisateur Juan Sebastian Mesa, parti avec des amis traverser plusieurs pays lorsqu’il était plus jeune. Financé par des passionnés prêts à prendre le risque de ne jamais voir de retour sur investissement, le premier long métrage du jeune cinéaste colombien est une petite entreprise dont le tournage s’est fait entre amis dans les rues de Medellín. Produit avec trois fois rien, ce portrait d’une jeunesse en marge de la société de consommation épouse par sa forme le sujet qu’il traite : le résultat est direct et percutant, sans pour autant oublier son statut d’œuvre cinématographique. Pour faire ressortir les contrastes de la ville (urbains, sociaux…), Juan Sebastian Mesa a tourné en noir et blanc, ce qui a également pour effet de retirer à Medellín ses teintes colorées. L’attention est ainsi reportée sur les personnages qui évoluent dans un temporalité qu’il est difficile de cerner avec précision. Hors de la société, ces exclus sont également hors du temps et le sentiment de routine de leur journées passées à jongler ou jouer de la musique pour gagner de quoi survivre s’en sort renforcé. Ainsi vivent les « enfants de personne, les propriétaires de rien » selon les mots de l’écrivain uruguayen Eduardo Galeano dont le poème Los Nadie a donné son titre au film.
Punk is not dead
La vitalité électrisante qui se dégage de cette œuvre brute est également due à sa bande son qui n’épargne pas les oreilles du spectateur. Interprétés par le groupe de punk core O.D.I.O. — dont l’acteur qui incarne Pipa fait partie — les morceaux qui accompagnent de nombreuses scènes du film font écho à la rage d’une génération qui ne se reconnaît pas dans la société qu’on leur impose. Mouvement musical rattrapé comme tout le reste par le capitalisme, le punk de Los Nadie se veut encore libre : il se joue dans la rue et les paroles ont encore un sens pour ceux qui se jettent dans un pogo endiablé au pied du groupe. Tournés vers l’art sous des formes diverses (musique, cirque…) pour contrer la violence et la misère de leur milieu, les personnages de Mesa se fondent avec ceux qui les incarnent : la frontière entre fiction et documentaire est ici aussi fine qu’une feuille de papier à cigarette. On en veut presque au réalisateur de nous priver trop tôt de ces « Nadie » attachants alors que leur rêve de liberté se concrétise. Libre alors au spectateur d’imaginer la suite des aventures de ces révoltés en quête d’un monde plus juste, entre déception et révélation.
Film « punk » tourné avec peu de moyens, Los Nadie évite avec grâce le misérabiliste tant sur le fond que sur la forme. Juan Sebastian Mesa met en avant une jeunesse en marge rêvant d’une alternative à un monde qui semble décidé à tourner sans eux. Et on se prend au jeu en espérant avec eux.
> Los Nadie, réalisé par Juan Sebastian Mesa, Colombie, 2016 (1h24)