Dans les années 30, la Corée vit au rythme de la colonisation japonaise. Sokee (Kim Tae-ri), jeune femme au passé trouble, est engagée comme servante de Mademoiselle Hideko (Kim Min-Hee), une riche japonaise vivant sous la coupe d’un oncle tyrannique (Jo Jin-woong) dans un immense manoir isolé du monde. Mais Sokee n’est pas une servante comme les autres, elle a un secret.
Avec un escroc se faisant passer pour un comte japonais (Ha Jung-woo), la jeune femme a prévu de manipuler Hideko afin de mettre la main sur sa fortune. Au sein du manoir, un jeu de faux semblants se met en place et ses participants sont bien loin d’imaginer jusqu’où leurs mensonges vont les mener.
L’amour du risque
Un film de Park Chan-wook est toujours un événement très attendu. Avec, pour la première fois, un film d’époque en costumes, le réalisateur coréen dont le dernier film remonte à 2013 avec Stoker marque un retour fracassant sur les écrans. L’idée de ce thriller, le cinéaste est allé la chercher dans le roman Du bout des doigts de l’auteure britannique Sarah Waters. Alors que l’histoire se déroule en 1862 pendant l’époque victorienne dans le livre, Park Chan-wook a transposé l’histoire dans la Corée des années 30, durant la colonisation japonaise.
Une période dont il exploite la tension latente du colonialisme et qui lui permet de jouer sur la confrontation d’éléments passés comme la servitude avec une modernité qui commence à percer dans les esprits. Malgré le cadre très strict du film d’époque, le réalisateur du célèbre Old Boy (2003) et de l’envoûtant Thirst (2009) imprime son style inimitable et nous surprend une nouvelle fois avec cette histoire de manipulation qui échappe à ses instigateurs.
Imaginé un temps en 3D — idée finalement abandonnée pour des raisons financières —, Mademoiselle impressionne par la beauté de ses plans, d’une maîtrise absolue. Tout l’art du cinéaste est contenu dans ce thriller malsain où la construction des plans et le rythme du film — associés à un travail sur le son captivant — frôlent la perfection. Racontée à travers des points de vue différents, l’intrigue du film divisée en trois parties reste captivante jusqu’à son dénouement final et les près de deux heures et demie ne se ressentent à aucun moment.
Avec ce nouveau thriller, le cinéaste offre une histoire tordue comme il aime en raconter où les personnages se perdent dans leurs manigances jusqu’au point de non retour. Des manipulations hypocrites dont le désir — omniprésent — est le moteur principal.
Le risque de l’amour
Avec Mademoiselle, Park Chan-wook signe — de loin — son film le plus sensuel. À travers des scènes explicitement érotiques et d’autres, en apparence plus prudes, mais néanmoins empreinte d’une forte sensualité, le cinéaste plonge les protagonistes dans un labyrinthe sensoriel qui fait tourner les têtes. Le désir s’infiltre dans l’esprit des conspirateurs et leur plan pour duper Hideko va progressivement leur échapper. Palpable tout au long du récit, la tension sexuelle qui lie les personnages prend également une connotation politique devant la caméra du cinéaste. Femmes en quête de liberté, Sokee et Hideko cachent sous leurs kimonos chastes une révolution sexuelle sur le point d’ébranler la société de mâles dominants qui les étouffe.
Période coloniale à la croisée des chemins, les années 30 en Corée permettent au réalisateur d’évoquer la confrontation d’un monde suranné avec une modernité qui vient le menacer, à l’image de Sokee et son complice qui viennent menacer l’équilibre bourgeois d’Hideko et son oncle tyrannique. Car Mademoiselle traite au final autant — voire plus — du rapport des sexes que du rapport des classes.
Avec un malin plaisir, le réalisateur évoque les fantasmes de cet oncle libidineux et de ses amis et tourne en ridicule le désir masculin pour mieux dénoncer le patriarcat archaïque subi par Hideko, obligée de lire des livres érotiques pour le bon plaisir d’une assemblée exclusivement masculine. Un parfum de féminisme radical flotte sur cette histoire sensuelle de manipulation et rend ce nouveau film du cinéaste coréen d’autant plus jouissif.
Film en costumes d’une étonnante modernité, le nouveau thriller de Park Chan-wook envoûte par sa beauté plastique et sa puissance érotique à couper le souffle. Une histoire d’amour et de manipulation qui joue subtilement sur la proximité entre ces deux forces qui mènent le monde, toujours aux dépens de ceux qui se laissent séduire.
> Mademoiselle (Ah-ga-ssi), réalisé par Park Chan-wook, Corée du sud, 2016 (2h24)