"Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme". Il n'a jamais été aussi nécessaire d'appliquer la célèbre maxime de Lavoisier. C'est le fil rouge de l'exposition Matière Grise, qui se tient actuellement au Pavillon de l'Arsenal. Via le secteur du bâtiment, le collectif d'architectes Encore Heureux, commissaire de l’exposition, prouve qu'en faisant travailler leurs méninges, les professionnels du secteur peuvent bâtir dans le respect de l'environnement. Le secret : le réemploi des matériaux.
Une prise de conscience
Le domaine de la construction est l'un des secteurs d’activités qui utilisent le plus de matériaux, bois, béton, acier, verre, plastique…. Matériaux, eux-mêmes fabriqués avec des matières premières, plus vraiment renouvelables, comme le sable, omniprésent dans le BTP. Pourtant, la troisième ressource la plus utilisée après l'air et l'eau serait vouée à disparaître.
Une fois les cycles de leur fabrication, leur mise en oeuvre et leur vie dans les bâtiments terminés, ces matériaux deviennent des déchets. Et pas des moindres, puisqu'en Ile-de-France, ils représentent 75% de nos déchets. Certains seront recyclés avec toute l’énergie que cela demande, d’autres non. Julien Choppin et Nicola Delon, initiateurs du collectif Encore Heureux, s’intéressent aux déchets de la construction depuis la réalisation d’un projet éphémère pour la SCNF en 2008. "Après trois semaines d’exposition itinérante, tous les matériaux utilisés on été mis à la benne, explique Julien Choppin, nous n’avons pu récupérer que quelques planches de bois, ça faisait mal au coeur". Commence alors un questionnement sur une architecture plus responsable, dans les actes mais aussi dans la rencontre avec d’autres professionnels sensibilisés à ce sujet. Ensemble, ils cherchent à imposer le débat dans l’espace public.
L’exposition
Se dessine alors l’idée d’une exposition et d’un livre regroupant non seulement des projets innovants ayant fait le choix du réemploi de matériaux mais aussi le point de vue de professionnels liés de près ou de loin au monde de l’architecture (ingénieurs, géographes, avocats, démolisseurs, historiens…). Loin de nous culpabiliser, ces 75 projets sélectionnés par Encore Heureux, donnent à voir des bâtiments pensés où des matériaux considérés comme "usés" vivent une seconde vie. La réflexion englobe autant des questions de construction et de déconstruction, d’approvisionnement des matériaux mais également l’esthétisme et la conception.
Pour les plus connus d'entre eux, l'architecte Patrick Bouchain présente la réhabilitation de l’ancienne usine LU à Nantes devenue le Lieu Unique ou encore le Rural Studio qui réemploie des pares-brises de trucks, ces camions américains, pour créer une serre solaire.
Certains projets incarnent un symbole, comme la façade du nouveau siège du conseil de l’Union européenne à Bruxelles imaginée par Philippe Samyn & Partners, qui se compose de 3 000 vieilles fenêtres en chêne collectées dans chacun des états membres.
On aussi les puristes, qui mixent le réemploi des matériaux et une empreinte carbone proche de zéro, en limitant les transports et en cherchant des matériaux réutilisables dans un périmètre proche du chantier.
D’autres projets nous montrent la réutilisation de briques de seconde main pour construire des pavillons ou encore l’utilisation de vitrages refusés sur un chantier parce qu’ils ne correspondaient pas précisément à la commande.
Au fil de la visite, on se rend compte que le réemploi est un vivier d’inventivité. La scénographie de l’exposition s’applique également cette logique, "tous les panneaux sont issus de l’exposition précédente. Les seuls achats furent les vis et la peinture" précise Julien Choppin. Même les chutes de bois sont réutilisés dans l’atelier d'upclycling "chutes libres' où le collectif Prémices vous aidera à les transformer en de nouveaux objets. On ne peut que reprendre l’adage bien connu de M. De Lavoisier « Rien ne se perd, rien ne se créer tout se transforme »
Pas si simple
Plusieurs obstacles existent à la multiplication de ce principe de construction qui semble pourtant évident. Tout d’abord, la multiplication et la complexité des normes, qu’elles soient constructives ou sanitaires, dans la commande publique. En effet, prenons l’exemple de la réutilisation des traverses de chemin de fer; avant de les réemployer, il est nécessaire de les analyser en laboratoire pour s’assurer qu’elles n’émanent plus de créosote, substance de traitement dangereuse pour la santé. Ce type d'analyse permet effectivement de légitimer des matériaux de seconde main mais à quel coût ?
Le problème se pose également en terme de responsabilité et du calcul de risques pour les compagnies d’assurance, qui doivent être convaincues par un tel projet. « Cela nécessite de trouver les partenaires compétents, qui sauront négocier une garantie avec leurs assureurs pour engager quelques opérations permettant de constater que le procéder est assurable, voire qu’il obtienne une certification par un organisme habilité. (…) Il faut réussir à y intégrer des bureaux d’études, des bureaux de contrôle et des entreprises de façons à crédibiliser le projet. » explique Michel Klein, directeur des sinistres de la MAF (Mutuelle des Architectes Français assurance).
L’approvisionnement de ces matériaux restent l’un des problèmes majeurs. En France, il n’existe pas de lieu de stockage où les entreprises viendraient non seulement déposer les matériaux récupérables après une déconstruction mais également se fournir pour la réalisation d’un nouveau bâtiment. Julien Choppin et Nicola Delon iamginent "Recup Center", une plateforme pour le bâtiment de seconde main. La région Ile-de-France, après s’être lancée dans la réalisations d’écoquartiers, se préoccupe désormais de cette question dans le cadre du plan régional des déchets de chantiers. Avec la volonté actuelle de réduire de 5% ce type de déchets, la région serait encline au-delà du recyclage à créer une véritable zone de stockage. A l’image de La Réserve Des Arts qui propose des matériaux de récupération aux artistes, celle-ci serait dédiée aux professionnels du bâtiment et constituerait l’un des points de départ d’une autre manière de construire.
"La volonté est d’arriver à un équilibre, à un mix matériotique entre les matériaux fossiles, bio-sourcés, issus du recyclage et aussi réemployés", insiste Julien Choppin. Cependant "quand on a pris conscience de la rareté, il est difficile de revenir en arrière", poursuit-il. "Alors que l’on constate que les matières premières s'amenuisent, à contrario les ressources intellectuelles sont infinies." Plus de matière grise pour préserver les matières premières !
> Matière Grise, jusqu'au 4 janvier 2015, au Pavillon de l'Arsenal, 21 boulevard de Morland, 75004 Paris.
> Matière Grise, Matériaux / réemploi / Architecture, Encore Heureux, Julien Choppin & Nicola Delon, Editions du Pavillon de l'Arsenal, 2014.