« Mémoires d’un escargot », jolie sortie de coquille

« Mémoires d’un escargot », jolie sortie de coquille

« Mémoires d’un escargot », jolie sortie de coquille

« Mémoires d’un escargot », jolie sortie de coquille

Au cinéma le 15 janvier 2025

À la mort de son père, Grace Pudel, fantasque collectionneuse d'escargots, voit sa vie chamboulée. Elle est séparée de son frère jumeau et ses tuteurs la délaissent. Entre sourires complices et larmes compassionnelles, Mémoires d'un escargot sublime la vie de marginaux dont les failles font écho à nos névroses. Joyau d'animation pour adultes, ces souvenirs doux-amers invitent à sortir avec grâce de la spirale du désespoir.

La vie heureuse de Grace Pudel (Sarah Snook), jeune fille solitaire passionnée de lecture et collectionneuse d’escargots, vole en éclats lorsque son père Percy (Dominique Pinon) meurt subitement. Désormais orphelins, Grace et son frère jumeau Gilbert (Kodi Smit-McPhee) sont séparés de force. Le jeune garçon est envoyé dans une famille de fanatiques religieux à l’autre bout de l’Australie.

Désormais seule, Grace est harcelée par ses camarades de classe à cause de la cicatrice laissée par l’opération de sa lèvre fendue et délaissée par ses tuteurs, plus intéressés par des leurs activités de couple échangiste que par son éducation. En grandissant, Grace s’enfonce dans le désespoir, accumulant des escargots sous toutes formes. Heureusement, elle rencontre Pinky (Jacki Weaver), une octogénaire excentrique qui va la guider hors de sa coquille de solitude, carapace salutaire mais aliénante contre un monde hostile.

Mémoires d'un escargot © Arenamedia - Screen Australia - Snails Pace Films - Wild Bunch

Stop et encore

Réalisateur oscarisé, Adam Elliot a un plan. Après sa « Trilogie des trilogies »  (trois courts métrages, trois moyens métrages et trois longs métrages), il arrête le cinéma. Mémoires d’un escargot est son second long-métrage et le septième opus de sa trilogie, il faut donc profiter des œuvres de ce cinéaste original avant que la source ne soit tarie. Pour cet antépénultième film, Adam Elliot utilise à nouveau la technique chronophage et exigeante du film d’animation en stop-motion en pâte à modeler.

Un an a été nécessaire pour fabriquer à la main les 7 000 objets apparaissant à l’écran dans plus de 200 décors à travers 135 000 prises de vue animant les mésaventures de Grace et ses proches. Au-delà de ces chiffres impressionnants, Adam Elliot appuie le fait qu’il n’y a pas un seul effet visuel dans le film. Un artisanat qui rejoint celui des cousins plus joyeux Wallace et Gromit où les traces de doigts sont visibles sur la pâte à modeler – lire notre critique de Wallace & Gromit : cœurs à modeler (2017).

Cette simplicité formelle – seuls quatre matériaux de base sont utilisés : l’argile, le fil de fer, le papier et la peinture – font le charme de cet univers palpable, à mille lieux d’une animation par ordinateur apparaissant parfois désincarnée à l’écran. Lors de la production, des pancartes annonçaient le résultat attendu : « bancal et grossier ». Mémoires d’un escargot est volontairement imparfait et asymétrique. Cabossé en somme, à l’instar de ses personnages ballottés par une vie insensible qui sculpte peu à peu leurs failles et leur singularité.

Mémoires d'un escargot © Arenamedia - Screen Australia - Snails Pace Films - Wild Bunch

Éloge de la différence

Les personnages de Mémoires d’un escargot évoluent dans cet univers visuellement imparfait en écho aux vicissitudes de la vie. Un monde de cicatrices comme celle que Grace possède au-dessus de sa lèvre supérieure, vestige d’une malformation de naissance qui lui vaut moqueries de ses semblables. La marginalité est centrale dans l’œuvre du cinéaste australien qui réunit une nouvelle fois une galerie de personnages attachants pour leur fantaisie et leurs peines. Cette plongée dans l’excentricité des personnages interroge en creux la notion de différence et de la normalité dans une société qui rejette plus facilement qu’elle n’inclut.

Une nouvelle fois, Adam Elliot s’est inspiré de son entourage pour ses personnages avec une méthode de création assez libre. En partant d’idées diverses, il réécrit jusqu’à arriver à une forme structurée du récit. Il inclut surtout dans ses figurines de pâte à modeler des traits de proches. Ainsi le film est inspiré par une amie collectionneuse d’animaux empaillés et d’objets de brocante née avec le palais fendu qui a été prostituée, toxicomane, auteure de récits fantastiques, naturiste et créatrice de mode !

Une destinée incroyable dont certaines péripéties se retrouvent à travers plusieurs personnages : Grace, ses parents adoptifs sans oublier l’étonnante Pinky. Les personnages de Mémoires d’un escargot s’inspirent aussi du cinéaste – Grace rêve de devenir réalisatrice de film en stop-motion – et de sa propre mère, elle aussi collectionneuse.

Mémoires d'un escargot © Arenamedia - Screen Australia - Snails Pace Films - Wild Bunch

Pour donner vie à ces destins, Adam Elliot réunit à nouveau un casting vocal exaltant à l’instar de la présence du regretté Philip Seymour Hoffman dans Mary et Max. (2009). Le français Dominique Pinon prête ainsi sa voix à Percy, le père de Grace, saltimbanque français devenu paraplégique et alcoolique après la mort de sa femme. Le chanteur Nick Cave fait une apparition dans le peau d’un facteur qui séduit Pinky à l’aide d’un poème aux intonations rappelant Leonard Cohen. Autant de personnages loufoques et attachants qui font osciller Mémoires d’un escargot entre sourires et larmes.

Valse de sentiments

Résolument pour adultes, le nouveau film façonné par Adam Elliot affronte de face les sujets délicats. Les faits sont réalistes et l’ambiance est globalement sombre à l’instar de l’image de la maison de Grace, tellement encombrée qu’elle laisse difficilement passer la lumière. Le harcèlement, le deuil, la solitude et le sentiment de ne pas être à sa place dans ce monde pèsent sur le destin de Grace.

Le cinéaste n’épargne pas le spectateur en débutant de façon morbide par le soupir final de Pinky. Grace se retrouve alors seule, une nouvelle fois. Elle se confie à un escargot surnommé Sylvia nous permettant de découvrir les bas et les hauts de sa vie. Grace livre ainsi sa « clayographie », terme inventé par le cinéaste constitué de « clay » (argile en anglais) et biographie – comme il aime qualifier son œuvre.

Mémoires d'un escargot © Arenamedia - Screen Australia - Snails Pace Films - Wild Bunch

Évocation douce-amère de la vie d’une femme solitaire, Mémoires d’un escargot est aussi parsemé de moments d’humour et d’émotion qui viennent transpercer la noirceur de ce monde injuste. En équilibre fragile, l’univers du cinéaste rappelle que l’on peut rire les yeux emplis de larmes. Montagne russe de sentiments contradictoires, le film défie la vie par une excentricité qui est avant tout un réflexe devant sa cruelle incohérence.

Accumulation

Si la relation épistolaire à distance entre Grace et son frère jumeau rappelle la situation de Mary et Max échangeant depuis deux continents différents, Mémoires d’un escargot met l’accumulation du collectionneur au cœur du récit. Ainsi Grace débute sa collection d’escargots avec quelques figurines avant d’acheter tout ce qui ressemble de près ou de loin au gastéropode. Signe d’un consumérisme moderne, ce besoin de posséder est ici interrogé pour son effet apaisant sur Grace.

Pourquoi décide-t-on de conserver toute notre vie certains objets ? Pourquoi en collectionner certains plutôt que d’autres ? Où débute le loisir et où commence la névrose ? Le lien affectif – addictif – à ces objets qui entourent et finissent par étouffer Grace, collectionneuse compulsive au point de devenir cleptomane, est au cœur du récit. Comme Adam Elliott donne vie à ses personnages de pâte à modeler, les objets se chargent de sens et leur accumulation vient souvent compenser un deuil traumatique.

Mémoires d'un escargot © Arenamedia - Screen Australia - Snails Pace Films - Wild Bunch

Porté par une très belle BO signée par la compositrice de musique classique Elena Kats-Chernin, Mémoires d’un escargot interroge avec beaucoup de tendresse les mécanismes de protection qui finissent parfois par devenir néfastes. Ainsi Grace se passionne pour les escargots mais elle aurait pu aussi bien s’intéresser symboliquement aux papillons. Cocon ou coquille, Adam Elliott ne fait que célébrer une éclosion libératrice d’autant plus touchante que tardive.

> Mémoires d’un escargot (Memoir of a Snail) réalisé par Adam Elliot, Australie, 2024 (1h35)

Mémoires d'un escargot (Memoir of a Snail)

Date de sortie
15 janvier 2025
Durée
1h35
Réalisé par
Adam Elliot
Avec
Sarah Snook, Kodi Smit-McPhee, Eric Bana, Dominique Pinon, Jacki Weaver, Magda Szubanski, Tony Armstrong, Paul Capsis, Nick Cave
Pays
Australie