Miss.Tic nous a donné rendez-vous lors d’une séance de dédicaces, organisée à l’occasion de la sortie de son livre A la vie A l’amor. Elle publie des livres depuis près de dix ans et comptabilise déjà huit ouvrages. Cette fois, l’artiste a voulu y intégrer des œuvres réalisées ces trois dernières années, sur un mur ou une toile, et jamais parues auparavant. Les dessins s’articulent autour de textes qu’elle nomme « des fragments poétiques ». Miss.Tic, dont le nom de scène est directement inspiré de la sorcière Miss Tick qui opérait aux côtés des Rapetou et de Gripsou, sévit dans la rue depuis le début des années 80. Pochoiriste, l’une des instigatrices du Street Art en France, elle est également poète.
Ses beautés brunes, sexy et insolentes, que l’on croise dans les rues de Paris sont toujours accompagnées d’une courte phrase, crâne et percutante. C’est un véritable concept auquel elle ne déroge pas : « Le produit fini contient toujours une phrase, une image, une signature ». Ces petites phrases apparaissent comme des fulgurances nées comme par miracle dans l’esprit impertinent de l’artiste. Que l’on se détrompe, il n’en est rien. « Les gens qui travaillent énormément et qui réussissent donnent l’impression de ne pas faire d’efforts. A l’image d’un danseur qui fait un triple saut périlleux, cela représente des mois, même des années de travail. C’est pareil pour l’écriture ! Plus les choses ont l’air simple, plus elles demandent du travail. » « Revenue de tout, j’y suis retournée », « Pas d’idéaux, juste des idées hautes » : simple, sans fioriture mais qui prête délicieusement à interprétation.
Des phrases qui lui ressemblent. Miss.Tic ne s’adonne pas aux dérives fumeuses intellectuelles de l’artiste égocentrique. Ses réponses sont mêmes déstabilisantes. On espère l’emmener sur les combats féministes et la cause des femmes. Elle peint la plupart du temps une belle femme brune, à l’aise dans ses talons aiguilles ; une femme, l’esprit libre. « Il y a des luttes à mener mais je ne veux pas qu’on m’enferme. Je ne suis pas militante, je suis simplement une femme féminine qui pense. » Elle peint des femmes parce qu’elle les aime. Ne pas chercher plus loin. Et en ce moment, elle peint des couples. En ce moment, ils l’inspirent. Voilà tout.
La chevelure noire, épaisse, le regard sans compromis, intensément féminine. Miss.Tic est née en 1956 à Barbès, à Paris. « Nomade de Normandie par ma mère, un peu arabe sur les bords de la méditerranée par mon père », lit-on dans son livre. Nous pensions qu’elle était née à Montmartre. « C’est un peu moins bourgeois. Tout de suite, on sent que je viens du peuple. » A 10 ans, la fillette échappe à un terrible accident de voiture dans lequel meurent sa mère, son frère et sa grand-mère. Elle n’aborde pas le sujet lors de l’entretien, mais dans son livre, elle écrit : « Mon destin se joue là (…). J’ai dix ans, je n’ai plus d’âge ».
Frappée par un cruel coup du sort, la petite fille se construit malgré tout. Elle a toujours peint et écrit, toujours en ville, comme une condition sine qua none à sa stabilité. « Je ne me vois pas ailleurs. Quand je voyage, je vais aussi dans des grandes villes. » La raison pour laquelle elle peint dans la rue ? « J’aurais vécu dans la Creuse, j’aurais utilisé les arbres ; à la Montagne, j’aurais peint sur des rochers. » On essaie de comprendre en quoi la ville, le ciment, les immeubles et les avenues sont des sources d’inspirations pour Miss.Tic et son héroïne urbaine. « L’autre fois un journaliste me dit : « vous êtes nourrie par ce que vous voyez dans la rue ». Évidemment ! Mais je ne sors pas dans la rue en pensant « Je vais nourrir mon art ! » Et quand je vis une chose ce n’est pas pour le mettre dans mon art. On crée et voilà ! C’est beaucoup plus simple. » L’art est urbain parce que la femme est urbaine.
Après avoir vécue à Los Angeles, elle rentre à Paris en 1983. En Amérique centrale, elle fut marquée par les grandes fresques politiques adossées aux murs. Aux Etats-Unis, elle a assisté à la naissance du hip-hop, des tags et du graffiti. En France, elle voit sur les panneaux publicitaires, les affiches des Frères Ripoulin, de Jean Faucheur. Elle rencontre les VLP, Jérôme Mesnager, père de Corps blanc et Gérard Zlotykamien. Ce qu’elle découvre lui plaît, l’inspire. A son tour, elle se lance. Tout de suite, elle débute avec le pochoir, tout simplement car c’est une technique pratique qu’elle aime bien. Peindre sur les murs de la ville, l’activité est illégale. Est-ce l’une des raisons qui la pousse à enfreindre les règles ? « Pas du tout ! Mais je n’avais pas le choix ! » La jeune femme n’est pas sotte, il s’agit là d’un véritable plan de communication. « Je voulais que ça se voit. Je voulais être remarquée par les professionnels. » Elle n’hésite donc pas à poser ses jolies filles à côté même des galeries ! De plus, Miss.tic restait fidèle à ses premières amours, les arts de rue. « J’aime les arts populaires qui s’adressent directement aux gens. Ce n’est pas le même public que dans une galerie. »
La campagne de promotion habilement orchestrée a fini par payer. Et dans les années 90, Miss.Tic réussit à vivre de son art. « Tout s’est mis en place petit à petit. J’ai d’abord arrêté l’intérim, je ne travaillais que l’été. Ensuite, je ne faisais plus que quelques chantiers de décors de théâtre dans l’année. Et puis un galeriste m’a mensualisée et j’ai arrêté les petits boulots. » Et la débrouillle, Miss.Tic sait faire avec depuis longtemps. Elle n’a jamais cessé de bosser depuis ses 14 ans. Théâtre de rue, décor de scène, elle a toujours travaillé. Les petits boulots, elle connaît.
Elle est aujourd’hui une incontournable de la scène artistique française. Le Street Art, une discipline devenue presque « traditionnelle ». Miss.Tic, la cartésienne poétesse, décrit le phénomène : « Un mouvement est underground jusqu’à temps que des gens s’y intéressent et le nomment. »
Avec la démocratisation du Street Art sont arrivés de nombreux artistes inspirés par les Mesnager, Faucheur, Zlotykamien. A-t-elle conscience d’être devenue une icône pour une génération ? La femme féminine qui pense n’est pas étonnée, on l’imagine d’ailleurs mal être prise au dépourvu. « J’en suis ravie. Cette reconnaissance valide près de trente ans de travail ! » Le fait qu’elle ait contribué à la légitimation d’une véritable discipline artistique ? « C’est parce qu’il y a de bons artistes comme nous qu’on obtient la reconnaissance du public et qu’une discipline se développe. » La dame a confiance en elle. Elle a raison Miss.Tic. Ses femmes et ses mots marquent les murs comme sa présence les esprits. Trente ans que ça dure.
Miss.Tic, A la vie, A l’amor, collection Opus Délits, Critères Éditions, 2010 et à la Galerie W depuis le 1er décembre, jusqu’au 23 janvier 2011.