« Ils dansent seuls et sans trop remuer les jambes pour ne pas froisser leurs sapes. » Eux, ce sont les Mods, le diminutif de modernistes. Pilier du mouvement, la danse, discipline dans laquelle ils s’affrontent sur les pistes des clubs les plus branchés d’Angleterre. Des jeunes, guidés par l'hédonisme, lassés par le conformisme de leurs parents. Un mouvement né à Londres au cœur des années 50, devenu un véritable mouvement de masse au milieu de la décennie suivante, l’âge d’or des Mods. Ne les chercher pas en France, à part peut-être du côté de la bande du drugstore et des minets de Dutronc. Ici, on est directement passé aux Yéyés.
Les Mods aiment la danse, les sapes et le jazz, le cappuccino et la Nouvelle Vague. Une véritable tribu, adepte d’une dolce vita so british. François Thomazeau, auteur de "Mods, la révolte par l’élégance", parle d’une « rébellion anglaise, cynique et décalée ». Tellement propre sur eux, tirés à quatre épingles comme des mafieux, qu’on est pas loin d’une défiance envers le système.
« Ils viennent de la classe moyenne et veulent se différencier de la classe populaire, des ouvriers qui eux sont des rockers, avec des grosses motos, sapés à la Eddie Cochran », raconte François Thomazeau.
Et si les rockers se la mettent à la picole, les Mods préfèrent se farcir d’amphètes. Assoiffés d’air pur après les années de guerre, enfants boudeurs de parents stéréotypés, leur souffle, c’est le jazz.
Au départ était le jazz
Pendant la guerre, les GI’s noirs sont venus avec leur musique noire. « Les Mods sont les premiers jeunes en Europe à écouter de la musique noire. Ce sont eux qui popularisent cette musique. » Leur sobriquet, les Mods, vient de là. Le Modern Jazz s’oppose au Trad’jazz, le jazz de la Nouvelle-Orléans. Le bepop de Dizzy Gillespie et Charlie Parker, musique de sauvage à laquelle Louis Armstrong n’entend rien. Une musique marginale en Europe dans les années 50 qui s’étend ensuite au blues, à la soul, au ska et au reggae.
La tribu engendre aussi ses propres musiciens. Dans les années 60, les groupes anglais estampillés Mods apparaissent avec, en chef de file, the Kinks et The Who. Dans son livre François Thomazeau écrit au sujet de Pete Townshend, leader des Who : « Il utilise, transforme et pousse aussi loin que possible les influences originelles du mouvement (rythm’n’blues, blues et soul) pour créer une forme d’art sonique où le volume, la hargne et l’image comptent autant que le groove. »
La scooterisme
Arpenter les rues de Londres, dans leurs super costards, en bus ou à vélo, no way. Les Mods avaient besoin d’un deux-roues, qui roule vite et ait de la gueule : le scooter. « Sur leur scoot’, ils ramassent des filles, exhibent leur dernières fringues, et passent rapidement d’un club à un autre. »
Hors de question d’avoir le même scooter que le type d’à côté. La customisation est de rigueur, la peinture est grattée pour laisser apparaître le chrome. Chaque véhicule rutile, bardé de phares et de rétroviseurs.
Pour les puristes du mouvement, c’est en Vespa qu’il faut se déplacer, mais le Lambretta arrive en outsider. Une guerre oppose rapidement les lambrettistes contre les vespistes. Guerre que remporte la marque Lambretta. « Le week-end, les Mods partaient en scoot’ sur la côte, à Brighton ou à Clacton. Le Lambretta s’est imposé parce qu’il tenait mieux la route. » Et pour ne pas salir et mouiller leur costume trois pièces, ils voyagent sous la fameuse parka, devenue un accessoire mythique.
Le culte de la sape
A y regarder de plus près, « les Mods sont les premières fashion victims ». Les rois de la sape, les leaders d’opinion en terme de style. Ça commence par les costumes trois-pièces un peu étriqués. Look de gangster, chaussures deux tons, ils sont véritablement obsédés par leur apparence et leur élégance. Des marques deviennent ensuite les symboles d’une panoplie Mods comme les chemises Ben Sherman, les polos Fred Perry. « Ils sont à font dans la consommation. Ils achètent des chemises tous les jours, il ne faut pas être habillé deux fois de la même manière. »
Au sujet de cette attention quasi religieuse accordée aux fringues, Paul Weller, élevé au rang de Modfather, confiera à The Observer en 2007 : « Je suis d’une époque où les gamins se sapaient. Tous les gamins. Celui qui ne se sapait pas n’osait pas se montrer. (…) C’est l’esthétique qui me revient à l’esprit. Les couleurs et l’aspect des fringues ne m’ont jamais lâché. C’était très important pour moi, c’était une déclaration d’intention. »
Les plus charismatiques sont les Faces, ceux qui lancent les styles et les pas de danses, ceux qui sont fringués comme personne : Marc Bolan, chanteur des T.Rex, un certain David Jones, aka David Bowie, Charlie Watts, batteur des Stones ou encore Rod "The Mod" Stewart.
Un mouvement qui se réinvente
En 67, le mouvement Flower Power balaie les Mods. On se met sous acide et les Beatles partent en Inde. Townshend a les cheveux qui poussent. On zappe le Rythm’n’blues pour le psychédélisme. Mais des dancefloors résistent. « Il reste encore ce goût pour la musique noire. Ceux qui continuent à aller dans les clubs pour danser et non pour être assis en tailleur pour écouter de la musique indienne, c’est le mouvement Northern Soul, dans le nord de l’Angleterre. »
Les Mods ne sont pas morts, ils attendent leur heure, dans le nord. En 1979, c’est le Revival avec l’adaptation ciné de Quadrophenia, le double album des Who sorti en 73.
Un succès phénoménal qui relance les Mods, les chemises Ben Sherman, les polos Fred Perry et les Lambretta comme en 1964. Pour François Thomazeau, ce revival a dénaturé le mouvement. « On a créé une mythologie qui n’a pas lieu d’être. A l’époque, les Mods ne suivent pas de règles, seulement des règles d’élégance. Ils luttent contre l’embrigadement et le stéréotype. » Pour lui, il n’y a pas d’uniforme Mods, Fred Perry et Ben Sherman, imposé en 79. « Des jeunes me contactent, me demandant comment ils doivent s’habiller. Le vrai esprit Mod, c’est de ne jamais s’habiller de la même façon et de ne surtout pas marcher avec le troupeau. »
N’empêche, le revival a quand même vu exploser le ska de Madness et The Jam du charismatique néo-Mod Paul Weller, père de la BritPop et Modfather, jusqu’ici incontesté.
Les Mods aiment l’ancien et avec, ils adorent faire du neuf. Liam Gallagher et Damon Albarn avaient beau se faire la guerre, ils n’en restaient pas moins des Mods. Le mouvement est toujours très actif, les Fred Perry et les scooters peuplent les villes européennes. Les types de Kaiser Chiefs, The Last Shadow Puppets, les types comme Miles Kane et Pete Doherty sont les nouveaux "faces".
« 'Faut dire qu’une telle élégance, intemporelle, et la musique black, la musique éternelle, comment les détrôner ? Etre bien sapé et écouter la Motown, c’est facile, c’est agréable. »
> François Thomazeau, Mods, la révolte par l'élégance, le Castor Astral, octobre 2011.