Des corps abandonnés, livrés au sommeil, au milieu des étals, sur une moto, dans un bus ou assis. C’est le travail de Romain Philippon, 30 ans. Ce photographe, basé sur l’île de la Réunion, est professionnel depuis trois ans mais exerce depuis quinze ans. Il a parcouru de nombreux pays du globe, souvent en Asie et en Europe, également sur le continent américain et en Afrique. Il est l’auteur d’une série qu’il veut aujourd’hui éditer : Inconscience, les dormeurs autour du monde. Séparés par des milliers de kilomètres, tous se ressemblent à travers de nombreux points communs, derrière les yeux clos. Laos, Cambodge, Inde, Bolivie, c’est partout pareil. On prend une pause, on ferme les yeux, on tombe dans l’inconscient.
Des dormeurs qui interrogent
Romain Philippon a photographié son premier dormeur voici plusieurs années. « Ce sont des dormeurs que j’ai croisés au fil de mes voyages. Au début, je n’avais pas en tête le livre mais assez vite j’ai su que je tenais une série et qu’il fallait que je creuse et que je continue à photographier mes dormeurs. »
Comment le photographe sait-il qu’il tient une série ? « Parce qu’au fur et à mesure, je me posais toujours de nouvelles questions sur le sujet. J’y trouvais de nouvelles significations, de nouveaux symboles. On ne tient pas une série si elle ne nous pose plus question. »
Ils dorment et captivent, pour plusieurs raisons. Une grande vulnérabilité s’échappe de ces images. Les corps pèsent le plus lourdement possible sur les couches de fortune où ils ont trouvé refuge. Certains sont assis, d’autres recroquevillés, parfois les dormeurs de Romain Philippon sommeillent même debout, au sens figuratif du terme. A leur insu, ils sont pris en photo, parfois ils se réveillent, parfois le sommeil est plus fort que le clic de l’appareil. « Oui, on peut y voir de la vulnérabilité. Mais de toute façon, réaliser le portrait de quelqu’un, c’est déjà le mettre dans une position de grande vulnérabilité. »
Etonnant pour les occidentaux de voir ces personnes se livrer à une activité, généralement privée dans nos pays, dans l’espace public. Un rapport différent au sommeil, moins policé et plus instinctif. On dort parce qu’on le peut enfin et parce qu’on en a besoin.
Une société qui dérape
« Le lien aussi, c’est cette fatigue et ce poids qui pèse sur eux. Pas leur fatigue mais la fatigue, l’épuisement de la société. » Une société qui dérape, une société qui épuise ses Hommes, ses travailleurs. D’ailleurs, nombre de photos montrent des dormeurs sur leur lieu de travail, sur un marché derrière un étal, dans un bus qui les y emmène. Une sieste entre deux clients, entre deux portes, entre deux rendez-vous. Quand le corps peut grappiller un repos qui lui échappe. Tous les moyens, les moments, les lieux sont bons pour courir après cette pause.
Romain Philippon ne veut surtout pas que son travail se réduise à une dénonciation de la société et de ses maux. « Ce n’est pas mon boulot. J’essaie toujours de mêler poésie et social. J’aime faire réfléchir, amuser, intéresser. La poésie de la personne endormie est très forte. Elle décline le thème de la rêverie, celui de l’évasion. »
Déjà exposé à la Maison des Métallos, Romain Philippon veut éditer seul sa série de dormeurs. Seul ? Pas tout à fait. Les livres sont disponibles en préventes et à tarif préférentiel sur le site de financement participatif Ulule. Si elles sont en nombre suffisant, Romain Philippon éditera sa série en librairie. Aidez[fn]La prévente prend fin dans quatre jours[/fn] les dormeurs à rêver !