Dans les années 70, Ilze est une petite fille grandissant en Lettonie alors une République Socialiste Soviétique. Désormais réalisatrice, elle revient sur son enfance vécue sous la pression constante d’un puissant régime autoritaire.
Son récit est à l’image du combat d’un peuple vers l’émancipation. D’abord fervente communiste, Ilze aiguise tant bien que mal son esprit critique face à l’endoctrinement national. Mais c’est l’adolescence qui lui permet enfin de conquérir une véritable liberté de pensée !
La vérité animée
En se plongeant dans les archives lettones des années 70, la réalisatrice Ilze Burkovska Jacobsen n’a pas trouvé la matière assez inspirante pour raconter son histoire. Les photos et vidéos d’époque racontaient bien une histoire mais pas sa vérité, celle d’une petite fille qui a dû grandir avec la propagande soviétique.
Pour la cinéaste, il était primordial de raconter son vécu à travers l’angle de l’enfance. Une perception intérieure dans un premier temps naïve mais avec une curiosité poussée par l’impression qu’il y avait bien plus à découvrir sous le vernis du discours officiel. La méthode de l’animation s’est alors imposée pour décrire les évènements avec ce regard enfantin dont la fascination fait peu à peu place au doute.
De belles images
Œuvre hybride, My Favorite War est majoritairement constitué d’animation avec des documents d’époque qui viennent s’incruster dans le récit, parfois au cœur même de l’animation. Ces éléments de la réalité officielle contrastent avec les souvenirs intimes animés et rappellent l’omniprésence d’une désinformation de tout instant de la part du régime.
Parmi ces images de propagande, on retrouve les inévitables photos de Staline posant avec des enfants lui offrant des fleurs. Des mises en scènes peu subtiles qui font appel à un subconscient avide d’images réconfortantes.
Et penser que ces méthodes ne sont plus d’actualité serait bien naïf. Le même stratagème a récemment été utilisé dans la communication d’une candidate à l’élection présidentielle française en quête de normalisation qui a utilisé son temps de parole pour parler de ses chats.
Make love to war
Plus sournois, l’écran de télé du foyer familial diffuse les images réelles d’une série TV polonaise des années 60 bien connue des lettons. Four Tank-Men and a Dog (1966) se déroule pendant la Seconde Guerre mondiale. Exaltant l’amitié et le patriotisme, cette série pleine d’humour bénéficie, comme son titre l’indique, de la présence d’un chien attachant pour donner le beau rôle aux soviétiques.
Une méthode d’endoctrinement par le divertissement qui a depuis hérité du terme « soft power » qui joue pleinement son rôle au cœur des foyers lettons de l’époque. Ilze Burkovska Jacobsen décrit parfaitement cette manipulation faite de multiples éléments qui consiste à faire aimer cette guerre aux citoyens.
Ainsi, la Seconde Guerre mondiale devient pour la jeune fille sa « guerre favorite ». Le titre du documentaire est évidemment ironique avec le recul mais il illustre bien l’efficacité de la propagande. Avec son fusil en bois improvisé, la jeune Ilze se plaît à « jouer à la guerre », trop fascinée par le discours héroïque officiel pour remettre en question le rôle de chaque camp.
No Future
Cette exaltation du sentiment de toute puissance de l’URSS va de pair avec la nécessité de figer le temps. Les Lettons sont ainsi conditionnés à rester dans la mentalité de la Seconde Guerre mondiale. Tout est organisé au sein de la société pour faire perdurer les sentiments vécus pendant le conflit.
À commencer par la peur, outil indispensable des régimes autoritaires. Ilze Burkovska Jacobsen décrit notamment comment la propagande instille la crainte d’une nouvelle guerre avec les Allemands. Dans ce temps suspendu, la population est unie par la peur d’une atteinte à la sécurité nationale imminente.
Un sentiment qui permet de faire taire toute contestation. Cette fébrilité au sein des foyers trouve un écho macabre dans l’actualité. Difficile de ne pas penser au comportement paranoïaque – qu’il soit sincère ou calculé – de Vladimir Poutine pour valider sa propre hostilité envers les pays voisins de la Russie contemporaine.
Le parti du père
Avec son point de vue ancré dans l’enfance, My Favorite War ne pouvait faire l’impasse de l’influence parentale sur le développement de l’esprit critique de sa narratrice. La cinéaste évoque naturellement ses parents avec des rôles bien différents dans sa construction critique.
Avec My Mother’s Farm (2008), la cinéaste avait déjà célébré le courage de sa mère qui s’est lancée seule dans l’entreprise risquée de gestion d’une ferme. Les souvenirs de son père, disparu prématurément, sont plus contrastés.
Membre du parti communiste, le père de Ilze a eu un comportement opportuniste pour faire avancer sa carrière au sein de l’appareil soviétique. Une réalité familiale évoquée avec honnêteté qui rend plus compliquée la nécessaire prise de conscience face au système de la propagande.
Soviet qui veut
Mais l’aspect familial, indispensable pour comprendre l’évolution de la jeune fille, ne parasite pas l’intention profonde de raconter l’histoire du pays. My Favorite War est avant tout porté par la volonté d’analyser les ressorts de la propagande mais surtout d’exposer au grand jour les non-dits d’une période écrasante.
Ilze Burkovska Jacobsen contrebalance habilement l’histoire officielle qui exalte l’héroïsme de l’armée soviétique en laissant dans l’ombre la souffrance des civils. Elle rend aussi hommage au long combat pour l’indépendance. La Lettonie n’a en effet acquis son indépendance que le 21 août 1991. Et les dernières troupes de l’occupation russe n’ont quitté le pays que trois ans plus tard.
History Repeating
Difficile de ne pas penser au drame actuel en Ukraine tant les parallèles sont flagrants. De par sa date de sortie en salles en France, My Favorite War donne un sentiment de vertige face à une Histoire qui semble tourner en boucle. Mais au-delà, Ilze Burkovska Jacobsen espère que son film trouvera un écho dans la jeune génération.
Alors que les démocraties sont de nouveau sous la pression de dirigeants totalitaires et de mouvements nationalistes, la cinéaste plaide pour une prise de conscience des mécanismes qui mènent au pire. Une supplique que l’on peut trouver naïve mais qui offre un peu d’air pur toujours bon à prendre dans une ambiance difficilement respirable.
Mélange étonnant d’animation et de documents historiques, My Favorite War est une vivifiante leçon d’histoire utilisant habilement le filtre de l’intime pour décrypter les mécanismes de la propagande soviétique. Un retour vers le passé rendu d’autant plus percutant par l’actualité récente qui alerte sur la tendance qu’a l’histoire à répéter inlassablement les mêmes tragédies.
> My Favorite War, réalisé par Ilze Burkovska Jacobsen, Lettonie – Norvège, 2020 (1h22)