Après son divorce, Isabelle (Julie Delpy), spécialiste en immunologie et en génétique, tente de reconstruire sa vie. Elle tombe de nouveau amoureuse et décide de relancer sa carrière au point mort. Mais James (Richard Armitage), son ex-mari, a du mal à accepter qu’elle lui échappe.
Alors que l’ancien couple se dispute la garde de Zoé (Sophia Ally), leur fille de 8 ans, une tragédie survient. Un matin, Zoé ne se réveille pas. Ce qui restait de famille implose en mille morceaux. Inconsolable, Isabelle refuse d’accepter la perte de sa fille. L’amour maternel et le déni vont l’entraîner dans une quête effrénée pour retrouver Zoé, loin des considérations éthiques et de toute logique.
Une séparation
Au moment de l’écriture de ce nouveau projet, Julie Delpy s’est séparée du père de son fils. L’ombre de cette rupture plane au-dessus de ce drame, incarnée par la relation conflictuelle entre Isabelle et James. Entre les anciens amants, la boîte de Pandore du ressentiment s’ouvre en grand et les reproches fusent. Les compromis se font rares et l’ambiance entre la généticienne et son ex-mari est délétère.
Mais, au-delà de la rupture, c’est l’évolution de l’enfant de divorcé qui intéresse la réalisatrice. Julie Delpy confie avoir constaté un changement de comportement chez son fils après la séparation qui l’a inspirée. Comme s’il était coupé en deux, elle pensait détecter une nouvelle identité avec deux personnalités selon le parent avec qui son fils passait du temps.
Cette sensation de disparition de l’enfant qu’on a connu est au cœur du film. Julie Delpy pousse l’idée très loin en rendant cette disparition irrémédiable. A priori…
Rupture toxique
Avant de basculer dans la science-fiction, My Zoé est avant tout un drame précis et cruel sur une relation toxique. Incapables de gérer la rupture, Isabelle et James passent leur temps à se culpabiliser l’un l’autre.
Impossible pour James d’aimer sans contrôler. Il accepte mal la nouvelle vie de son ex-femme avec Akil (Saleh Bakri) et n’imagine pas devenir que le père de Zoé dans la fille de son ex-femme. Cette guerre larvée épuisante est particulièrement présente lorsqu’il s’agit de prendre des décisions concernant Zoé.
Les dialogues qui actent cette séparation sont particulièrement justes. Si ceux de 2 days in Paris (2007) étaient particulièrement drôles, les échanges sont ici tranchants et cruels. Cette relation malsaine atteint son paroxysme lorsque la petite fille qui était le ciment de cette relation forcée se retrouve dans le coma.
Deuil another day
Cauchemar absolu de tout parent, la mort subite d’un enfant entraîne naturellement un deuil déchirant difficile à imaginer. Julie Delpy choisit ici une autre voie. Confrontée à la perte de sa fille, Isabelle ne peut s’y résoudre. Alors que les drames conventionnels explorent les façons de faire son deuil, My Zoé opte pour le déni absolu d’une mère.
Si le personnage d’Isabelle travaille dans le domaine de la science ce n’est pas un hasard. En contact avec les avancées les plus pointues de la science, la mère inconsolable peut plus facilement envisager l’impensable. Le film de Julie Delpy court-circuite la logique d’un deuil nécessaire pour se reconstruire et nous entraîne dans une quête insensée.
Désormais seule aux commandes, Isabelle ne veut pas être consolée. Le deuil est trop cruel pour être accepté. Seule solution : un retour à la normale, avec Zoé. C’est en tout cas le projet fou qu’elle se fixe.
Être unique… ou ne pas naître
En envisageant frontalement le clonage humain, sujet tabou par excellence, Julie Delpy nous plonge au cœur des débats entre l’inné et l’acquis, la nature et la culture. La cinéaste qualifie son film de « science-fiction légère » car elle a souhaité garder un aspect réel qui est d’autant plus troublant.
Isabelle se tourne vers Thomas Fischer, un scientifique (Daniel Brühl) controversé exilé en Russie avec sa femme Laura (Gemma Arterton). À la pointe de l’insémination artificielle, elle le sent prêt à franchir le pas du clonage humain. En imaginant que la situation pourrait se produire d’ici peu, My Zoé flirte avec le film d’anticipation.
Et si le projet insensé fonctionnait ? Le clone serait-il la même personne ? À quel point notre génétique seule nous rend unique ? Qui gagne dans ce match entre la nature et la culture ? Les questions soulevées par My Zoé sont évidemment fascinantes et d’autant plus troublantes qu’elles ne peuvent être résolues par l’expérience. Malgré tous les obstacles, à commencer par l’éthique, la mère éplorée veut y croire. Elle a besoin d’y croire.
Résurrection
La fascination de Julie Delpy pour la science et ses possibilités est évidente dans My Zoé. Cette éventualité de pouvoir échapper à la mort est, il faut l’avouer, séduisante. La tentation est d’autant plus grande lorsqu’il s’agit de ressusciter un être aimé.
Confrontée à la possibilité technique de ressusciter sa fille, Isabelle ne semble douter à aucun moment. Julie Delpy évacue la question de savoir si cela est possible pour nous projeter directement contre les digues morales et éthiques qui empêchent la réalisation du clonage humain.
Cette tentation aussi irrésistible que dangereuse de jouer à Dieu (ou la nature pour les plus prosaïques) parcourt le film. Julie Delpy nous jette à la face notre faiblesse motivée par les sentiments. Un amour maternel qui brise toutes sortes de barrières, pour le meilleur et pour le pire.
Analyse clinique
Si Julie Delpy ne tourne pas autour du pot concernant les dilemmes que posent le clonage humain, elle prend soin à ne pas manipuler les spectateurs.trices. My Zoé cherche à provoquer et oblige à se positionner mais le fait avec un détachement quasi clinique.
Ainsi l’absence de musique évite de créer un pathos artificiel. Les émotions ressenties face à cette tentative de résurrection totalement folle ne sont pas perturbées par des violons larmoyants. L’ambiance aseptisée de cette quête renvoie à l’univers médical et cette science qui semble capable de tout, y compris les retrouvailles surréalistes.
Pas besoin de toute façon de musique pour épouser le point de vue de la mère endeuillée. My Zoé est un drame puissant qui embarque dans ce projet insensé. Le film est également très perturbant car il démontre à quel point cette envie, cette curiosité (malsaine ?) face au clonage, est difficile à contrôler.
Avec son parti pris radical, My Zoé est un drame volontairement provocateur qui émeut avant de troubler pour sa façon d’envisager l’impensable. Une quête philosophique troublante qui fait s’affronter émotions et convictions éthiques et fait réfléchir à ce qui fait notre singularité en tant qu’individu.
> My Zoé, réalisé par Julie Delpy, Royaume-Uni – Allemagne – France – États-Unis, 2021 (1h42)