Astronaute, garde forestière, dessinatrice… Rakel (Kristine Kujath Thorp) est une jeune femme de 23 ans qui ne manque pas de projets. Et devenir mère n’en fait absolument pas partie. Rakel préfère profiter de sa jeunesse : faire la fête, se saouler ou se défoncer – parfois les deux – plutôt qu’envisager un rôle maternel. Mais la situation est sur le point de changer radicalement.
Alertée par les fringales et la poitrine gonflée de son amie, Ingrid (Tora Dietrichson) conseille à Rakel de réaliser un test de grossesse. Et là, c’est le drame… Rakel est enceinte depuis 6 mois ! Un coup d’un soir a visiblement très mal tourné. L’avortement désormais impossible, la jeune femme envisage l’adoption pour se débarrasser de la mauvaise surprise. Mais son plan va être perturbé par Ninjababy, un bébé animé sorti de son carnet de notes qui va faire de sa vie un enfer…
Un bébé de BD
Ninjababy est l’adaptation du roman graphique Fallteknikk écrit par Inga Sætre. Admirative du travail de la dessinatrice – notamment sa série sur les Møkkajentene (filles sales) – Yngvild Sve Flikke s’est lancé comme défi de transposer à l’écran son style entre comédie et mélancolie. Collaboratrice sur le film, la dessinatrice a réalisé toute la partie animée du film.
La réalisatrice avait déjà expérimenté l’animation dans son film Women in Oversized Men’s Shirts (2015) et dans une série d’animation pour les jeunes enfants destinée à une chaîne de télé norvégienne. Cette fois-ci, le personnage de Ninjababy s’incruste dans les images réelles et fait écho aux angoisses intimes de la future maman malgré elle. L’espiègle personnage animé est une façon originale et percutante de confronter Rakel à des impératifs qu’elle cherche à fuir à tout prix.
Le bébé esquissé n’a en effet pas sa langue dans sa poche et renvoie inlassablement Rakel aux sentiments confus qui s’invitent dans sa tête : colère, déni, rejet et beaucoup de doutes. Les échanges entre la future mère et son enfant imposé distillent un humour caustique où le rire se fait parfois nerveux face à des choix limités pour gérer la situation.
Le bébé de la maturité
Dans le roman graphique, Rakel a seulement 16 ans. En vieillissant son héroïne dépassée par les évènements, Yngvild Sve Flikke change de point de vue face à l’événement inattendu. Elle ouvre des perspectives plus matures à la jeune femme qui se retrouve moins isolée avec sa meilleure amie comme seule aide par rapport à l’œuvre d’origine.
Ce choix fait en accord avec la dessinatrice renforce le rejet du rôle de mère par l’héroïne dépitée par sa grossesse. Dans la vingtaine, Rakel subit ainsi plus intensément la pression sociale imaginant qu’elle ferait évidemment une bonne mère. Ce décalage de quelques années permet également de donner plus de substance aux personnages masculins qui entourent Rakel.
Les deux hommes sont – sans surprise – tout autant dépassés par la situation. Mais leur présence permet de jouer malicieusement avec les codes de la comédie romantique et des films mettant en scène une jeune femme qui découvre une grossesse non prévue. Car évidemment tout le monde a son avis sur ce qu’il convient de faire de cet enfant surprise. Et ces suggestions – voire injonctions – tendent les nerfs de Rakel qui se sent dépossédée de son propre corps et de son libre arbitre.
IVG ratée
Sur le fil entre drame intime et satire humoristique, Ninjababy oriente cette situation toujours complexe d’une grossesse non désirée vers la comédie. La découverte beaucoup trop tardive de la grossesse pour permettre un avortement fait évidemment écho avec l’actualité récente. Si les circonstances sont différentes, difficile de ne pas penser au signal inquiétant provenant des États-Unis où ce droit fondamental s’est retrouvé bafoué du jour au lendemain.
En imposant de fait cette grossesse à son héroïne, Ninjababy met en exergue le choix ou non d’être mère. Et sur ce point, le film déjoue malicieusement les dénouements heureux habituels. Le scénario joue ainsi avec nos attentes avec Mos (Nader Khademi), un sympathique prof d’aïkido qui sent bon le beurre – selon Rakel. Entre Rakel et Mos, probable père du bébé surprise, le feeling est évident. Ils feraient assurément de bons parents.
Mais le géniteur est en réalité un jeune homme très porté sur la chose – et un abruti de surcroît – surnommé Pikkjesus (Arthur Berning). Patatras, le coup d’un soir trop fertile qui aurait pu se transformer en belle romance parentale vacille. Et Rakel se retrouve à devoir gérer ces deux hommes, le futur père et l’amoureux, en plus de cette grossesse déjà pénible. Un sacré foutoir mais pas au point d’oublier ce qu’elle souhaite.
Non, c’est non
Car Rakel ne se laisse pas détourner de son objectif qui reste : ne pas être mère ! Et rien ne la fera changer d’avis. Le bébé ninja cherche à la faire culpabiliser, les hommes de sa vie lui offrent des alternatives et la pression sociale pèse lourdement sur ses épaules. Mais la jeune femme sait ce qu’elle veut. Et ce qu’elle souhaite c’est conserver la possibilité d’être désordonnée et surtout libre.
Avec le personnage attachant de Mos, Ninjababy détourne les codes de la comédie romantique. L’amour pourrait-il faire craquer la future maman et lui faire découvrir une fibre maternelle insoupçonnée ? Même Pikkjesus, le coup d’un soir devenu père, s’emmêle et propose son aide. Mais le film de Yngvild Sve Flikke impose son féminisme déterminé en respectant la logique de son héroïne malgré une conscience troublée par des hormones taquines.
Le personnage de Rakel résonne dans un pays où tomber enceinte avant 30 ans est devenu inhabituel. La jeune femme incarne bien malgré elle la défiance voire la peur de la materrnité des jeunes norvégiennes. Pourtant Rakel assume la situation et revendique être « une égoïste de merde » car elle ne veut pas être mère.
Cette déclaration pleine de défiance démontre par ailleurs l’incroyable pression sociale à enfanter qui inverse cette notion. Car se reproduire est au contraire la chose la plus égoïste à faire dans un monde en plein effondrement du vivant où chaque bébé naît avec son futur bilan carbone.
Comédie attachante qui séduit par sa liberté de ton, Ninjababy n’hésite pas à dynamiter les clichés et tabous sur la grossesse subie, l’instinct maternel et l’adoption. Une œuvre décalée portée par un humour mordant, résolument féministe pour son affirmation d’une liberté inconditionnelle.
> Ninjababy, réalisé par Yngvild Sve Flikke, Norvège, 2021 (1h43)