A Paris, au milieu du 19è siècle, les théâtres se multiplient. On affiche les programmes à la sauvage, sur les murs, les arbres et sur des panneaux d’affichage-urinoirs. Une double fonction étonnante pour ces pissotières surmontées de l’annonce d’un spectacle. Un combo qui porte un défaut majeur pour celui qui ne veut que prendre connaissance de l’affiche : l’urine sent fort. Alors en 1868, le combiné pissotière – tableau d’affichage est remplacé par la colonne Morris, aujourd’hui symbole du mobilier urbain parisien. Morris ? C’est le nom de d’imprimeur Gabriel Morris, qui obtient le droit d’exploiter la colonne à des fins publicitaires.
Le sommet de la colonne Morris est immédiatement identifiable : une colonne en fonte verte, surmontée d’une marquise, un mufle de lions à chaque angle, un dôme surplombé par une flèche en feuilles d’acanthe. Elle est lumineuse, capable de tourner sur elle-même, c’est la reine du trottoir. Elle n’accueille plus l’urine de ces messieurs mais comporte à l’intérieur un espace de rangement pour les balais des équipes de nettoyage.
A Berlin, à la même époque, c’est la même chose. L’affichage public est un joyeux bordel que l’homme d’affaire Ernst Theodor Amandus Litfaß, imprimeur de son état, veut contrôler. Il fait alors ériger 150 colonnes en bois dans la capitale allemande pour canaliser l’affichage publique. On est en 1845. Coup dur pour les Français. Il semble que la colonne Morris n’ait pas été inventée par Morris, mais par Ernst Theodor Amandus Litfaß. Sa colonne : la Litfaßsäule.
Si l’Allemande s’habille d’affiches de tout poil, réclames, annonces, propagande, marché noir, naissances… Les 4 m2 disponibles de la colonne Morris sont exclusivement dédiés à la culture : cinéma, théâtre, spectacle. L’Allemande fait des petits un peu partout dans le pays tandis que la Française reste un symbole de Paris, même si un petit nombre de colonnes Morris sont érigées ça et là en province. La colonne Morris, c’est pour la capitale.
Polémique autour de Morris
Elle se répand dans la ville, prend le pavé et le Parisien s’y attache. Tranquille, la colonne Morris voit le XXe siècle défiler. Jusqu’en 2006, année de la discorde, Paris se déchire. Au cœur de la polémique, l’avenir des colonnes Morris, dont la mairie veut en retirer une partie « pour désencombrer le paysage urbain ». De 773, dressées entre 1868 et 1990, leur nombre passe à 550, les résistantes du bitume. « C’est la mort de la culture, crie-t-on, dans les théâtres. » Dans le tumulte, c’est JCDecaux qui se frotte les mains. Le groupe spécialisé dans la publicité urbaine récupère de nouveau, après 20 ans d’exploitation, l’appel d’offre de l’affichage publicitaire parisien. Morris est déboulonné. Sur les 773 colonnes, 223 tirent définitivement leur révérence. Les autres sont remplacées par des colonnes Davioud, qui n’est autre que l’architecte des colonnes Morris. Collaborateur d’Haussmann, il aimait l’architecture qui envoyait du lourd et incarne l’éclectisme cher à Napoléon III. On lui doit des lieux simples comme les théâtres de la place du Châtelet ou la fontaine Saint-Michel. La nouvelle colonne Davioud, c’est en fait la colonne Morris, mais avec une signalétique « spectacle » gravée au sommet et un espace d’affichage plus en longueur.
La colonne du futur, c’est la colonne Wilmotte. Son papa est l’architecte Jean-Michel Wilmotte, à qui l’on doit notamment la restauration et le réaménagement du Collège des Bernardins. Aux oubliettes le vert bouteille. Le gris métallisé prend le pouvoir. Au trou l’élégante marquise, la colonne du futur ressemble à une capsule. Morris se retourne dans sa tombe. JCDecaux se frotte toujours les mains.