Employée de bureau discrète d’une quarantaine d’années, Setsuko (Shinobu Terajima) mène une vie solitaire et sans saveur. De Tokyo, la célibataire ne semble connaître que son lieu de travail et son appartement où règne un désordre constant. Cette routine de l’ennui prend fin lorsque sa nièce Mika (Shioli Kutsuna) la persuade de prendre sa place à des cours d’anglais très particuliers qu’elle a payé d’avance mais auxquels elle ne peut plus assister. Lors de ces séances d’enseignement plutôt décalées, Setsuko se trouve affublée d’une perruque blonde et doit désormais répondre au nom de Lucy. Cette expérience inédite agit comme un électrochoc pour Setsuko qui envisage alors une nouvelle vie, potentiellement auprès de John (Josh Hartnett), son fantasque mais charmant professeur.
Mais ce fantasme se retrouve réduit à néant lorsque Mika et John disparaissent ensemble pour s’envoler vers les États-Unis. Setsuko envoie alors tout balader et embarque sa sœur Ayako (Kaho Minami) dans un périple pour les retrouver. Mouvementée, la folle virée des deux sœurs de Tokyo au sud californien tourne rapidement à l’affrontement tandis que Setsuko espère encore trouver l’amour.
Du court au long
Pour son premier long métrage, Atsuko Hirayanagi a décidé de reprendre l’histoire de son court-métrage du même nom réalisé en 2014 et récompensé par plus de 30 prix internationaux. Mais il ne faut pas y voir un simple « recyclage » de sa part. Film de fin d’études, le premier Oh Lucy ! était prévu au départ pour être un long métrage mais son professeur de l’époque lui a conseillé la forme d’un court. Ce nouveau film qui sort dans les salles n’est pas une simple copie du court-métrage original mais permet à la cinéaste d’aller au bout de son idée en venant compléter l’histoire avec le voyage de son héroïne. En évoquant le périple de Setsuko aux États-Uni, Atsuko Hirayanagi raconte la fin de cette quête d’amour et identitaire qui traverse cette éternelle solitaire.
Oh Lucy ! joue sur cette idée que l’apprentissage d’une langue modifie le comportement de celui qui la découvre. John, jeune professeur d’anglais décalé, pousse à l’extrême ce phénomène en déguisant ses élèves et en les baptisant d’un nouveau nom américain. C’est ainsi que Setsuko, devenue blonde à l’aide d’une perruque, incarne Lucy pendant ces cours originaux et très rapidement se prend au jeu. Elle découvre également ces « hugs » ancrés dans la culture américaine qui la déstabilise dans un premier temps mais finissent par la convaincre, d’autant plus quand ils permettent de se lover innocemment dans les bras de John. Selon les scientifiques, les personnes bilingues auraient une conception différente du temps par rapport aux personnes qui ne parle qu’une langue. Pour Setsuko, ce qui est sûr c’est que ce jeu de rôle lui fait envisager sa vie autrement : et si elle était vraiment Lucy ? Et si elle n’était plus condamnée à la solitude ? Cette opportunité d’une autre existence, plus libre, se cristallise naturellement sur John, acteur de sa métamorphose, dont Setsuko — à moins que ça soit Lucy — s’éprend. Mais cette métamorphose est-elle vraiment possible ?
Lost in translation
Lorsque Mika et John s’envolent en amoureux pour les États-Unis, Setsuko annonce à sa sœur Ayako qu’elle plaque tout pour — officiellement — aller chercher sa nièce. En réalité c’est après John et son rêve de changement que court Setsuko et le voyage qu’elle fait aux côtés de sa sœur va devenir le théâtre de violents règlements de compte. Ayako, qui ne s’est jamais bien entendu avec sa sœur, voit en effet d’un mauvais œil la transformation de celle-ci en Lucy. Dans ce pays étranger, les vieilles rancœurs vont ressurgir et Setsuko va confronter ses espérances à la réalité. N’est-il pas trop tard pour être Lucy sans blesser son entourage ? Oh Lucy ! oscille subtilement entre le drame et la comédie, entre l’espoir et la résignation, tout en appuyant sur les travers de ses personnages. Habilement manipulé par la cinéaste, le spectateur navigue entre amusement et enthousiasme face à la métamorphose de cette héroïne touchante et une certaine répulsion face à son égoïsme malsain, fruit d’une longue solitude. Sous le vernis divertissant de la comédie, Atsuko Hirayanagi n’épargne pas ses personnages et interroge avec un regard doux amer la possibilité d’une renaissance.
En équilibre entre farce et désespoir, Oh Lucy ! entraîne le spectateur dans un road trip surprenant où la quête de bonheur de l’héroïne oscille entre libération et destruction. Avec ou sans perruque, on prend plaisir à suivre Setsuko dans sa quête tourmentée pour devenir une autre… ou elle-même.
> Oh Lucy !, réalisé par Atsuko Hirayanagi, États-Unis – Japon, 2017 (1h35)