« Les oiseaux de passage », tragédie colombienne stupéfiante

« Les oiseaux de passage », tragédie colombienne stupéfiante

« Les oiseaux de passage », tragédie colombienne stupéfiante

« Les oiseaux de passage », tragédie colombienne stupéfiante

Au cinéma le 10 avril 2019

En Colombie, dans les années 70, une famille d'indigènes Wayuu se retrouve au cœur du trafic de marijuana destiné à la jeunesse américaine. Œuvre dense, Les oiseaux de passage invoque le film noir, le western et la tragédie grecque pour raconter la naissance des cartels de la drogue. Honneur familial et cupidité s'affrontent dans ce récit épique flamboyant qui interroge les traditions et la modernité pour bousculer la Colombie contemporaine.

Dans la Colombie des années 70, Úrsula (Carmiña Martínez) est la matriarche d’une famille d’indigènes Wayuu respectée. Sa fille Zaida (Natalia Reyes), désormais considérée comme prête à marier, est autorisée à mettre fin à l’année de réclusion traditionnelle au sein du clan. Rapayet (José Acosta), un jeune homme d’une famille de rang inférieur, tombe sous le charme de la ravissante jeune femme et décide d’en faire sa femme. Mais pour cela il doit réunir la dot qui s’élève à une dizaine de têtes de bétail.

Pour amasser la somme nécessaire, Rapayet fait équipe avec son ami Moisés (Jhon Narvaez) et s’approvisionne en marijuana auprès de son cousin afin de revendre la drogue à un dealer hippie américain. Le mariage conclu, Rapayet et son associé passe à la vitesse supérieure en développant leur commerce de vente de marijuana à la jeunesse américaine. Cette activité en lien avec les étrangers gringos commence à être mal vue par les anciens, fidèles aux traditions du clan Wayuu. L’attrait de l’argent se heurte rapidement à l’honneur familial : la guerre des clans devient inévitable et donne naissance aux premiers cartels de la drogue.

Les oiseaux de passage © Ciudad Lunar Blond Indian-Mateo Contreras

La magie du genre

Les oiseaux de passage réunit de nouveau Cristina Gallego et Ciro Guerra à l’origine de L’étreinte du serpent (2015), film mystique multi récompensé ayant représenté la Colombie aux Oscars en 2016. À l’époque, Ciro Guerra était derrière la caméra et Cristina Gallego intervenait en tant que productrice mais en étant très investie au niveau du scénario et du montage. Pour ce nouveau projet, les deux collaborateurs sont co-réalisateurs, une première pour le tandem.

Prévu avant le succès de L’étreinte du serpent, ce drame épique s’inscrit dans la continuité du travail des deux cinéastes voulant mettre en avant des peuples originaires de l’Amérique latine dont les histoires sont souvent oubliées ou ignorées. L’intention est pour ce nouveau projet de jouer pleinement avec la notion de film de genre. Pour Ciro Guerra, l’être humain se sert du mythe pour « donner un ordre et un sens à une existence chaotique ».

Des légendes ancestrales à nos genres cinématographiques en passant par les diverses mythologies, ces histoires aux codes bien définis nous aideraient à canaliser un monde dont la compréhension nous échappe.

Les oiseaux de passage © Ciudad Lunar Blond Indian-Mateo Contreras

D’où l’attrait magique de ces images projetées dans des salles obscures, racontant sous une forme lisible les rouages mystérieux de la vie. Ces genres sont autant d’outils que Les oiseaux de passage entremêle à la perfection : la thématique et la violence de ce drame invoquent Martin Scorsese autant que Scarface tandis que l’aspect mystique est profondément ancré dans la culture ancestrale de ces indigènes Wayuu.

Cette volonté d’emprunter à différents genres et influences est assumée par le cinéaste qui décrit lui-même son film comme un film noir avec des gangsters mais qui est aussi « à la fois un western, une tragédie grecque et un conte de Gabriel García Márquez ». La coréalisatrice abonde dans ce sens en remarquant que cette culture wayuu possèdent des codes qui ne sont pas très éloignés de ceux des gangsters. Cette proximité entre l’entraide des mafieux et l’esprit de clan familial est ce qui donne au film une étonnante cohérence.

Les oiseaux de passage © Ciudad Lunar Blond Indian-Mateo Contreras

Narcos, l’origine

Comme dans toute tragédie grecque qui se respecte, le spectateur assiste impuissant au délitement d’une situation qui ne peut que dégénérer dans le sang. Une fois l’engrenage enclenché, Rapayet — aveuglé par l’argent et sa nouvelle situation — ne peut empêcher une explosion de violence. Les oiseaux de passage est subtilement parcouru par l’opposition entre la modernité du trafic de drogue qui ouvre la petite communauté au monde — à travers les États-Unis — et les rites immuables des anciens qui gèrent la vie du clan et de la famille.

En tournant le dos à ces traditions, Rapayet ouvre une boîte de Pandore dont jaillit comme un diable la cupidité venant déstabiliser les règles strictes au sein de la communauté. En racontant la bonanza marimbera — nom donné à cette période des années 70 et 80 où le cannabis s’exportait aux États-Unis à travers le désert de la Guajira, Cristina Gallego assume l’aspect métaphorique de ce nouveau film qui évoque, à travers cette tragédie familiale, la tragédie nationale de la Colombie contemporaine.

Les oiseaux de passage © Ciudad Lunar Blond Indian-Mateo Contreras

En mettant en lumière cette période méconnu des jeunes générations, les cinéastes espèrent plonger leurs concitoyens dans le passé pour mieux appréhender l’état actuel de la nation. Il s’agit aussi de se réapproprier cette histoire trop souvent racontée exclusivement du point de vue américain en la rattachant à la culture colombienne et surtout à celle des indigènes Wayuu.

Le drame met ainsi en avant une coutume assez impressionnante pour notre sensibilité occidentale  : l’exhumation rituelle d’un corps après plusieurs mois afin de laver ses restes avant de le remettre en terre. D’une certaine façon, cette pratique est semblable au travail de Cristina Gallego et Ciro Guerra qui ont déterré cette histoire méconnue et l’ont sublimée pour lui offrir un magnifique écrin cinématographique.

Tragédie familiale hypnotisante, Les oiseaux de passage fascine par son habilité à fusionner les genres tout en restant d’une cohérence miraculeuse. Le sang s’y mêle à la poussière pour raconter l’histoire d’un choc des cultures, des traditions délaissées au profit d’une certaine modernité qui — avec le recul — interroge sur les choix intimes et de tout un pays.

> Les oiseaux de passage (Pájaros de verano) réalisé par Cristina Gallego et Ciro Guerra, Colombie – Mexique – Danemark – France, 2018 (2h05)

Les oiseaux de passage (Pájaros de verano)

Date de sortie
10 avril 2019
Durée
2h05
Réalisé par
Cristina Gallego et Ciro Guerra
Avec
Carmiña Martínez, José Acosta, Jhon Narvaez, Natalia Reyes
Pays
Colombie - Mexique - Danemark - France