Sans emploi fixe, les quatre membres de la famille de Ki-taek (Song Kang-ho) vivotent dans un sous-sol insalubre en enchaînant des missions précaires. Ki-taek, le père de famille, a accumulé les échec professionnels tandis que la carrière sportive de sa femme Chung-sook (Hyae Jin Chang), ancienne médaillée nationale d’athlétisme dans la catégorie du lancer du marteau, n’a jamais réellement décollé. Quant aux enfants, ils ont raté leurs concours d’entrée à l’université. Par le biais d’un ami, Ki-woo (Choi Woo-sik), le fils, réussit à se faire recommander pour donner des cours particuliers d’anglais chez les Park, une famille richissime.
Avec l’aide de sa sœur Ki-jung (Park So-dam) qui falsifie pour lui certains documents certifiant des compétences fantasmées, le jeune homme arrive à se faire engager pour faire progresser l’adolescente de la famille Park. Peu de temps après, Ki-jung rejoint son frère dans la magnifique demeure des Park en se faisant passer pour une art thérapeute professionnelle. Elle est chargée de s’occuper du bien-être du petit dernier, un garçon turbulent mais génie en devenir selon sa mère. Ki-woo et Ki-jung gagnent la confiance de la famille Park et ce n’est que le début…
No spoilers !
À l’instar de Quentin Tarantino implorant les spectateurs du Festival de Cannes de ne pas dévoiler la fin de son prochain film Once Upon a Time… in Hollywood (2019) prévu en France en août prochain, Bong Joon-ho redoute également que son film soit divulgâché par des spectateurs trop bavards. Si Parasite ne possède pas de twist final dont l’évocation ruinerait le plaisir de le voir, le réalisateur sud-coréen demande aux spectateurs — et également aux journalistes — de ne rien dévoiler des faits se déroulant après l’arrivée des deux jeunes arnaqueurs Ki-woo et Ki-jung au sein de la famille de Mr. Park (Lee Sun-kyun), dirigeant d’une société d’informatique florissante.
L’auteur de ces lignes respectera cette consigne dans la suite de l’article pour préserver la surprise du spectateur mais également pour s’éviter un casse-tête compliqué à résoudre. Difficile en effet d’en dire plus sur les évènements qui vont venir bousculer l’existence des deux familles. Parasite est rempli de retournement de situation étonnants et prendre le risque de trop les dévoiler peut en effet gâcher la surprise et n’est pas forcément nécessaire pour évoquer l’ambiance générale qui se dégage du film. Loin d’être de simples prétextes pour relancer l’intérêt du spectateur, ces rebondissements viennent d’ailleurs nourrir intelligemment le propos du film, complexifiant au fur et à mesure cette satire sociale déguisée en polar, à moins que cela soit l’inverse.
La forme du fond
Après ses films internationaux à gros budgets qui l’ont fait connaître à un public plus large — Snowpiercer (2013) ou encore Okja (2017) —, Bong Joon-ho revient à un cinéma a priori plus intimiste en filmant dans sa langue d’origine avec des acteurs sud-coréens. Le cinéaste ne sacrifie pourtant en rien son exigence en terme de réalisation. Avec un sens du cadrage et du rythme admirable, Parasite démontre une nouvelle fois la maîtrise du réalisateur, quelque soit le genre qu’il aborde avec, à chaque fois, l’idée de le détourner.
Ambitieux sur le plan technique malgré l’apparente simplicité des situations, le nouveau film de Bong Joon-ho s’appuie sur une réalisation particulièrement soignée soutenant un propos qui cache une grande subtilité sous le vernis d’une radicalité assumée. Œuvre inclassable qualifiée de tragicomédie impitoyable par le cinéaste, Parasite happe le spectateur par sa maîtrise formelle dès les premières minutes pour ne le lâcher qu’au moment de sa remarquable conclusion douce-amère.
La vision d’ensemble
Le génie de Bong Joon-ho réside à transfigurer cette histoire qui pourrait faire la une des faits divers pour la faire rentrer, à la fois, dans les cases de polar à suspense, satire sociale acerbe ou thriller horrifique. Avec un humour noir omniprésent, Parasite ne ménage pas ses personnages — incarnés par des acteurs tous excellents — mais ne cède jamais à la caricature facile. Le cinéaste décrit son nouveau film comme une « comédie sans clowns » ou encore une « tragédie sans méchants ». Ces définitions décalées résument parfaitement l’impression qui se dégage de cette confrontation incongrue.
Dans cette satire débridée, aucune des deux familles semble prendre réellement le dessus sur l’autre. Le film se garde bien de jouer sur l’antagonisme — qui crève de toute façon factuellement les yeux — des deux réalités familiales. En s’infiltrant de façon sournoise chez les Park avec leurs mensonges, les « parasites » de la famille pauvre viennent dérégler un système bien huilé où chacun doit rester à sa place.
Mais l’intérêt du cinéaste est de dépasser les interactions entre les personnages pour mieux mettre en lumière le système implacable qui contrôle de façon invisible leur destin. Ils ne sont après tout que des marionnettes inconscientes, chanceuses ou maudites.
L’insidieuse violence capitaliste
Sous ses rebondissements, Parasite cache en son cœur une charge virulente contre un capitalisme sans garde-fou. Avec une subtilité remarquable, Bong Joon-ho prend soin de ne jamais ridiculiser ni humilier ses personnages, qu’ils vivent dans un souplex miteux ou dans une magnifique maison réalisée par un architecte reconnu. La force de ce film fusionnant plusieurs genres est de s’élever au dessus des destins des deux familles. Dans cette lutte des classes revisitée, tout est symbole.
Le cinéaste fait le procès d’un système capitaliste tout puissant qui cloisonne la société. Sans les talents de faussaire de la jeune Ki-jung destinés à amadouer la famille riche, les deux clans Ki-taek et Park ne se seraient jamais croisés dans la vie quotidienne. Le seul point de contact entre les deux univers est l’emploi, selon une configuration très particulière.
La seule rencontre possible est lorsque les membres de la famille pauvre sont engagés comme domestiques au service de l’autre. On sourit devant la malice des jeunes gens pour se faire embaucher mais il s’agit d’un rictus gêné qui dissimule mal la violence sous-jacente de la situation.
Avec beaucoup de délicatesse, Bong Joon-ho met en lumière le lien ambigu entre maîtres et domestiques, incarnation du monde du travail. Le salaire est venu écarter la notion d’esclavage mais qu’en est-il vraiment ? Dans certains regards et au fil de remarques a priori anodines on perçoit la violence intrinsèque d’une situation où un être a le pouvoir sur un autre.
Dans ce jeu de massacre à la fois terrifiant et jouissif, le cinéaste dénonce avec une acuité remarquable un système qui accumule toujours plus de richesses dans les poches de ceux qui en ont déjà beaucoup et brise un nombre toujours plus important de citoyens en prenant bien soin d’isoler chaque groupe.
En faisant miroiter l’espoir d’une réussite insolente pour les uns et la peur d’un déclassement brutal pour les autres, le système assure sa survie. Inébranlable malgré un bilan plus que discutable, il impose sa fatalité et persuade les citoyens de sa bonne volonté à créer du bonheur. Pourtant, comme pour le réchauffement climatique auquel il est intimement lié, personne ne pourra dire qu’on n’a pas été prévenus.
Satire sociale aux multiples rebondissements, Parasite cache sous son apparente fantaisie une réflexion politique radicale sur un système malade. D’un sous-sol insalubre à la maison luxueuse, les parasites ne sont pas forcément ceux que l’on croit et la radicalité fantasmée du film invite à prendre le sujet au sérieux… avant qu’il ne soit trop tard.
> Parasite (Gisaengchung), réalisé par Bong Joon-ho, Corée du Sud, 2019 (2h12)