Clément, prof de philo et écrivain parisien, est affecté à Arras dans le nord de le France. Pour tromper l’ennui de ces jours interminables, il repère Jennifer au salon de coiffure où il a pris ses habitudes. Entre les deux trentenaires, l’intellectuel solitaire et la coiffeuse, mère célibataire optimiste et pleine de vie, l’attirance physique est évidente. Une relation, forcément compliquée, va se nouer entre ces deux êtres que pourtant tout (ou presque) oppose ; de leur façon de s’exprimer à leurs goûts, en passant par leurs loisirs et leurs ambitions.
L’art de l’adaptation
Pas son genre est l’adaptation d’un roman éponyme de Philippe Vilain écrit à la première personne, du point de vue du prof. Lucas Belvaux a eu la bonne idée d’équilibrer le point de vue initial en donnant autant d’importance aux deux amants dans son film. Il s’éloigne ainsi du ton plus acerbe du livre et rend le couple plus crédible. Le soin apporté aux personnages permet d’éviter l’écueil du prof snob qui aurait pu paraître antipathique et de la coiffeuse écervelée. Clément, interprété par Loïc Corbery momentanément débauché de la Comédie Française, est moins cynique que dans le roman, plus humain. Jennifer, subtilement incarnée par Émilie Dequenne, n’est jamais ridicule : moins cultivée elle n’est pas pour autant stupide et s’intéresse à ce que lui fait découvrir son amant. L’écart culturel est flagrant entre le lecteur assidu de Kant et l’accro aux journaux people mais la confrontation des deux univers ne tombe jamais dans la caricature facile. Lucas Belvaux arrive à rendre vraisemblable l’attirance entre l’intello allergique à l’engagement et la ravissante coiffeuse passionnée de karaoké entre copines.
Personne n’est parfait
Le résumé de l’intrigue de Pas son genre peut faire redouter une énième comédie sentimentale mièvre et sans intérêt, le terrible « film de fille ». Ce n’est pas le cas ici. Le réalisateur évite habilement les clichés communs aux romances impossibles pour livrer un point de vue captivant sur l’impact d’une fracture sociale, mais surtout culturelle, dans un couple. Le film traite, avec justesse, de la « peur de l’engagement » et de ces ingrédients nécessaires pour que naisse – et perdure – un sentiment amoureux. De nombreux célibataires, hommes et femmes, devraient se retrouver dans le personnage de Clément, cet « handicapé sentimental » selon le terme du réalisateur, qui ne s’engage jamais par crainte de devoir renoncer à une multitude d’autres relations. Un mal moderne amplement cautionné par les sites de rencontres qui vendent la multiplication des opportunités et l’illusion d’une âme sœur pour chacun. La réalité est malheureusement plus complexe et l’amour un jeu de compromis. Mais peut-on sincèrement aimer une personne tout en étant condescendant envers ce qu’elle représente ? C’est le dilemme délicatement exploré par cette romance réaliste.
Le mythique critique de cinéma Robert Ebert nous a averti : « Ne vous mariez jamais avec quelqu’un qui n’aime pas les mêmes films que vous. Tôt ou tard, cette personne ne vous aimera plus. » Sans forcément confirmer cette position plutôt radicale, Pas son genre met en lumière ces différences qui peuvent détruire la complicité d’un couple. Subtile et intelligente, cette comédie romantique douce-amère est un spécimen rare à ne pas rater.
> Pas son genre, réalisé par Lucas Belvaux, France, 2014 (1h51)