« Paula », l’art et la manière

« Paula », l’art et la manière

« Paula », l’art et la manière

« Paula », l’art et la manière

Au cinéma le

Au début du XXème siècle, la jeune Paula Becker tente d'imposer sa vision de l'art et cherche sa place dans une société résolument patriarcale. Paula dresse un portrait coloré et sensible de cette peintre qui s'est battue pour vivre sa passion en toute liberté. À l'image de l'artiste à laquelle il rend hommage, ce biopic possède un charme émancipateur réjouissant.

En 1900, Paula Becker (Carla Juri), 24 ans, apprend les bases de la peinture sous le regard formateur de grands maîtres de l’époque dans une petite communauté d’artistes située au Nord de l’Allemagne. Mais la jeune femme s’oppose rapidement à l’enseignement naturaliste qu’on souhaite lui inculquer. Paula qui ne rêve que de liberté et de gloire détonne dans cette société corsetée du début du XXème siècle. Et, malgré l’amour de son mari le peintre Otto Modersohn (Albrecht Schuch), elle décide de s’exiler à Paris pour trouver sa voie. Une décision qui va bouleverser son destin et faire de cette jeune intrépide la première femme peintre à imposer son propre langage pictural.

Paula

Un art simplement différent

Le nom de Paula Becker peut ne rien évoquer pour un Français mais cette peintre très connue en Allemagne a pourtant été la première femme artiste à avoir un musée consacré exclusivement à son œuvre. Cette reconnaissance posthume, la peintre visionnaire n’a pas pu en profiter comme elle aurait souhaité. Ses tableaux étaient, dans le meilleur des cas, un sujet de curiosité mais jamais vraiment pris au sérieux. Dès le début de sa formation, Paula s’est opposée à cet enseignement imposé qui consistait à l’époque à peindre les choses telles que l’œil les voit. Une conception étroite de l’art pictural qui ne convient pas à la jeune peintre. Face au classicisme, Paula passe pour une insolente avec ses portraits d’une simplicité enfantine assumant leur part de grotesque. Dans ses tableaux, elle cherche à capter la personnalité de ses modèles plus que leur aspect physique, un parti pris assez perturbant pour ses contemporains. Attiré par la caractère entier de Paula, le peintre Otto Modersohn la demande en mariage mais après quelques années l’union bat de l’aile et l’artiste frustrée décide de quitter l’ombre de son mari. Exilée à Paris, la ville des artistes, Paula croise notamment la route de Rodin et développe son style, attirant l’attention de personnes qui s’intéressent réellement à son art.

À travers le destin de Paula Becker, le réalisateur Christian Schwochow dresse le portrait de la communauté d’artistes de Worpswede persuadée — malgré le modernisme en marche — que l’art doit reproduire la nature et voit dans le travail de la jeune artiste des propositions farfelues et immatures. Le fait que ces tableaux soient peints par une femme renforce évidemment le rejet du travail de Paula à une époque où celles-ci sont tout juste tolérées dans l’exercice de la peinture, à condition qu’elles paient leur place mais restent persona non grata dans les académies. Loin de l’image d’ouverture dont jouit la communauté artistique, son machisme tenace est parfaitement dépeint alors que Paula subit humiliations après humiliations, y compris auprès de son entourage le plus proche. Sur ce point, il n’est pas nécessaire d’être sensible aux tableaux de Paula Becker pour apprécier le film. Qu’aurait fait le spectateur devant les propositions de la peintre s’il y avait été confronté à l’époque ? Aurait-il alors fait partie de ceux qui cherchaient à anéantir les ambitions artistiques de la jeune femme ? Une interrogation qui soulève, en creux, la définition de l’art « acceptable », évalué à travers le prisme de son époque.

Paula

Paula, femme libre

Au-delà de l’artiste incomprise, Paula est également le portrait d’une femme libre et, à ce titre, rejetée pour son indépendance d’esprit. Si elle veut vivre de son art, la jeune peintre veut également pouvoir disposer et jouir de son corps en toute indépendance. Paula veut tout, tout de suite. Un tempérament à la fois fougueux et égoïste — le cinéaste ne cherche pas à établir Paula en icône féministe, elle se bat avant tout pour elle et non pour la cause des femmes — qui l’isole irrémédiablement. La jeune peintre fait ses bagages pour aller tenter sa chance à Paris mais aussi pour fuir ce mari qui ne veut pas lui donner l’enfant qu’elle désire ardemment. Loin de se douter du malentendu qui s’est installé entre les deux époux sur la raison de ce refus, elle se jette dans les bras d’un amant une fois arrivée en France. La relation de Paula et Otto ajoute une touche de romantisme tragique au biopic : ces deux êtres s’aiment mais les malentendus dans le couple et la quête d’une reconnaissance artistique interdite les éloignent l’un de l’autre.

Ode à la liberté et à la créativité, Paula n’occulte pas pour autant la position ambiguë de la peintre, artiste insoumise qui doit compter sur l’argent de son père pour financer ses études de peinture puis sur celui de son mari qui finance sa vie à Paris. Ironiquement, l’argent des peintures naturalistes d’Otto ont permis aux toiles « fantaisistes » de Paula d’exister. Entre les deux époux, l’histoire de l’art a ensuite fait son choix et Paula Becker est désormais considérée comme une femme en avance sur son temps, autant au niveau artistique que sur le plan sociétal. Le parcours artistique mouvementé de Paula, sa soif d’indépendance et sa fin tragique méritaient bien que le cinéma fasse revivre sur grand écran cette peintre visionnaire. Le biopic de Christian Schwochow est un bel hommage à sa soif de liberté et à son esprit frondeur.

La force de caractère de Paula Becker, son génie et la romance qui la lie — malgré tout — à son mari font de ce film un biopic au romantisme attachant et au parfum de révolte vivifiant. Un joli tableau haut en couleurs d’une femme qui l’était tout autant.

Paula (Paula, Mein Leben soll ein Fest sein), réalisé par Christian Schwochow, Allemagne, 2016 (2h03)

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