Le commandant nous reçoit, au consulat sur Terre, de la République intergalactique libre, Petroland. Il s’agit de la base de lancement des Petrospaces, vaisseaux spatiaux élaborés à partir de pièces récupérées dans la rue. Chaleureux, souriant, l’unificateur, premier citoyen Petronaute, nous accueille.
Entre Happy Days et Star Wars se trouve l’univers tout à fait personnel d’Aleksandar Petrovic. Happy Days parce qu’il s’agit là d’un vrai nostalgique des Trente glorieuses. Star Wars parce qu’intergalactique. « C’est l’histoire d’une folie douce. Celle de pouvoir voyager, de s’éclipser de cette planète, d’utiliser la matière ancienne pour créer de nouvelles choses. » Parce qu’on n’est pas seulement dans le rêve un peu fou d’un gamin de quarante ans trop vite vieilli.
Depuis une vingtaine d’années, il collecte des objets industriels qu’il trouve dans la rue ou qu’on lui donne. « Je suis connu pour ça. A force, je suis même devenu un aimant à métaux ». Il les désosse, les remonte et les intègre à son propre univers. Après un CAP comptabilité, il devient cordonnier puis électricien, et même plombier. Maintenant, et depuis peu de temps, il ne fait plus que ça : construire des Petrospaces. Petit, il voulait être pilote. Si ses études ne lui ont pas permis d’accéder à son rêve, il a joliment compensé avec ses vaisseaux.
De fiers engins, le métal lustré, les lignes fuselées, le nez dans les étoiles et délicieusement surannés. Les Petrospaces sortent tout droit des premières saisons de Star Trek. Tous sont illuminés, « à l’image de la lumière intérieur qu’on a en soi. Et pour trouver un équilibre entre le métal froid et la chaleur de la lumière ». L’espace, voici un moment que ça le titille. « J’ai ressorti mes dessins. Je faisais toujours des fusées à 6 ans, 7 ans. » Son père, lui, a fait les Beaux-Arts à Belgrade. Innocenté depuis, il fait de la prison pour un délit qu’il n’a pas commis. Une fois dehors, il quitte son pays et arrive en France au début des années 60. Il y rencontre sa mère. « Ni l’un ni l’autre n’avait eu une vie commode. Dans notre éducation, ils nous ont appris à écouter, à entendre, à respecter n’importe quel métier et à toujours regarder comment les autres font. »
Petro, pour les intimes, a bien essayé le bois, la pierre mais son vrai amour, c’est le métal. « Avec ces autres matériaux, j’avais l’impression de ne rien faire de nouveau, de ne délivrer aucun message personnel. »
Il n’avait pas 20 ans lorsque le tout premier Petrospace prend corps. Collectionneur, fabricant de vaisseaux, sculpteur, Aleksandar Petrovic veut accompagner ces vieux objets vers le futur. Nostalgique aussi ? « J’aurais aimé avoir vingt ans dans les années 50. Je crois qu’on avait plus de chance d’agir, de réagir et de fabriquer. » Même les objets, ils étaient mieux avant ! « Aujourd’hui les objets sont fait pour durer un temps donné. Quand je démonte ces objets, je vois que la qualité est moindre et ils s’intègrent moins bien dans mon univers. » Alors qu’il conserve absolument tout dans un bric-à-brac totalement incroyable au rez-de-chaussée de l’ancienne usine dont il est locataire, il dénonce le règne de l’éphémère.
Le téléphone sonne. C’est un Petronaute… L’un est amiral, l’autre est général de la République intergalactique libre. A moins que ce ne soit l’inverse. La hiérarchie n’est pas de rigueur dans cette république-là. La Terre porte en tout deux centaines de Petronautes, présents aux quatre coins du monde. Aleksandar Petrovic tient à jour le fichier de ces citoyens particuliers. « C’est un échange de poésie, de rêve et d’actions. » Un réseau social, lancé voici quatre ans, dont il serait l’opérateur. « Non, plutôt l’unificateur ou le médiateur ». Grâce à lui les Petronautes se retrouvent deux à trois fois par an, partagent un moment ensemble, échangent des projets. Chacun possède son passeport, preuve de l’appartenance à la République. A chaque nouvelle rencontre, une hôtesse tamponne le passeport.
Entre nos mains, le passeport d’une Petronaute. La jeune fille est amazone cosmique. « Je voulais que tout le monde soit libre et que chacun puisse se reconnaître dans le projet ». Il existe une charte, très simple : poésie, rêve et action. Un triptyque, fondation de la République. « Meccano intergalactique, intercommunicatrice, ministre du non-culte », chacun doit choisir un poste sous réserve qu’il ne soit pas occupé par un autre.
Loufoque, spirituel, profondément humain, complètement excentrique. L’unificateur se rend bien compte que pour un non-initié, il y de quoi écarquiller les yeux et s’exclamer ! Alors, plusieurs fois au cours de l’entretien, Aleksandar Petrovic recadre son discours : « il s’agit de se réunir au sein d’un même élan. L’envie de créer et d’avancer. C’est aussi un projet sérieux, pas si loufoque que ça. »
Les Petronautes se retrouvent dans ce grand espace qu’il occupe à Montreuil (Seine-Saint-Denis). Où il conserve tout. De ses dessins d’enfants au moindre petit boulon. Il archive, range, organise, trie… Petro, Géo Trouvetout d’un nouveau genre, y passe un temps fou et pourtant la scrupuleuse hiérarchie semble participer à part entière au processus de création. Ses parents gardaient tout et entassaient. Lui, garde tout et organise. « Toutes les casseroles sont avec les casseroles, les verres avec les verres, tous les phares avec les phares. C’est une vieille quincaillerie du début du siècle. 250 m² remplis à ras bord ». Mais il a du mal à se soigner, il est dingue des objets. Il va jusqu’à confier : « C’est ma croi ». Avec les siens, il veut toucher les êtres humains : « Un enfant va s’imaginer les piloter, un ingénieur verra l’ingénierie et une grand-mère reconnaîtra un vieil aspirateur. »
Lui voit des Petrospaces qui, un jour, parviendront peut-être à voler. Même si lever ces carcasses de métal demanderait un investissement financier trop important, les fins de mois sont encore difficiles. Alors de là à les faire voler… Mais ici, l’identité est si forte, si personnelle, qu’après quelques heures passées au consulat sur Terre de Petroland, on finit par voir voler les Petrospaces.