Philippe Boxho, un légiste qui prend la lumière
« Il semble impossible d’imaginer qu’un médecin normal puisse préférer faire parler les morts qu’écouter les vivants. »
« Mon objectif n’a jamais été de devenir célèbre », préface Philippe Boxho dans son nouvel opus, La mort en face. On peut en douter car l’homme n’est pas peu imbu de sa personne – mais qui ne le serait pas au vu du succès rencontré par ses deux premiers livres ! Oui, Boxho sait désormais y faire avec la célébrité. Verve étudiée, réparties cinglantes et pleines d’humour, ce médecin charismatique aux faux airs de Patrick Bruel est dans les médias comme un poisson dans l’eau.
Presqu’aussi bon en marketing qu’en anatomie, Boxho, qui dépeint abondamment son succès dans l’intro, n’hésite pas à renvoyer, au fil des pages, aux affaires contées dans ses précédents livres.
La mort en face, oui mais laquelle ?
Ce petit trip égotiste n’a rien de bien méchant, tant il est vrai que le lecteur aurait raté quelque chose si Philippe Boxho était resté dans l’ombre de ses morts. Suicide ou crime ? Noyade ou suffocation ? Morts de morts suspectes, abruptes, bêtes, improbables, voire de crimes que le coupable ne pense pas avoir commis… Certains cadavres ont bien des révélations à nous faire !
Si on peut s’impatienter parfois devant quelques digressions historiques – même si celle concernant Napoléon est très bien construite – notre docteur, très bon conteur, a une propension magicienne à réconcilier avec la mort.
Car oui, Boxho manie à la perfection suspense et rebondissements. Relater ce que le corps humain révèle sans tomber dans le gore ou le déroulé technique est un exercice de style qui requiert une finesse certaine. Surtout quand il s’agit de raconter des morts bêtes sans jamais moquer les protagonistes de leur vivant – jolie prouesse ! Oui, la mort peut être cocasse, et notre Docteur est Belge, ce qui rajoute une petite touche de piquant au vocabulaire.
Chaque chapitre peut se lire indépendamment des autres. Mes préférés : « On ne comprend rien si on n’a pas tout compris » et « Nos amis les animaux » ! C’est donc un livre qui peut être savouré par petites touches, en accompagner un autre, se laisser et se reprendre.
La digression comme principe d’écriture
Le lecteur va dire que j’enfonce le clou. Mais la digression est un art, et s’il y a quelque chose à reprocher à Boxho, c’est peut-être de la manier trop à tort et à travers. L’homme, érudit, est aussi historien en herbe et choisit de consacrer çà et là des passages à l’Histoire, la grande. Si sa digression sur Napoléon n’est pas sans intérêt, on pourrait se passer de quelques autres. Des histoires de vies « romancées », par exemple, qui donnent certes corps aux personnages mais n’apportent rien au récit.
Quelques platitudes aussi, comme cette diatribe sur le mariage, qui finit par être drôle tant elle est maladroite. « Ah ! le mariage ! Le Graal de toute relation sentimentale (…) ce jour béni où la mariée ressemble à une meringue coincée dans une robe improbable (…) qu’elle conservera religieusement (…) pour pouvoir encore l’admirer en souvenir du jour où elle est devenue une princesse ». Sur ce coup-là, Boxho est en roue libre, et son éditeur pas très avisé !
Si je suis aussi pointilleuse dans les petits aspects négatifs c’est que j’ai pris beaucoup de plaisir à lire et décortiquer cet ouvrage, d’autant que Boxho semble avoir plaisir à décortiquer ses corps. Car, à n’en pas douter, un bon médecin légiste est avant tout un passionné !
Le légiste, justicier des morts
On l’oublie souvent : le médecin légiste est avant tout saisi par la justice pour autopsie en cas de décès d’origine criminelle. Ce qui donne lieu, parfois, à des exhumations au cimetière, ce « boulevard des allongés ».
Le médecin légiste n’est pas que celui des morts. Il est aussi sollicité pour des vivants après un accident, des coups et blessures, pour affaires de mœurs ou pour évaluer des séquelles.
Le médecin légiste, et c’est là un bien beau rôle, est l’un des éclaireurs du chemin de la justice
Boxho mérite mes 4 étoiles. J’aurai plaisir à découvrir, après La mort en face, ses deux premiers ouvrages, et à les comparer à ceux de Michel Sapanet, un légiste français dont les ouvrages avaient aussi, dans les années 2010, rencontré un fort succès !