Première victimes, consentantes, de la vague rétro : les utilisateurs de smartphones et des dizaines d’applications dédiées. Désaturation, flou, grain, rayures, bordures, vignettage… toutes les méthodes sont bonnes pourvu qu’elles donnent l’ivresse de l’ancien.
Omniprésentes sur le web, ces images ont désormais leur place dans la presse traditionnelle. Ainsi, il y a un an, Damon Winter, reporter au New York Times, a publié des photos de guerre prises en Afghanistan avec l’application Hipstamatic de son iPhone. Des clichés primés au concours Picture of The Year International ! Hipstamatic fut la première application à offrir les fameux filtres simulant le « vintage » en permettant de combiner différents objectifs, pellicules et flashs virtuels.
Une approche plus originale mais aussi plus chère que celle d’Instagram, application basique, mais gratuite. Créée le 6 octobre 2010, Instagram est un véritable réseau social mobile qui compte 15 millions d’utilisateurs. Kevin Systrom, son cocréateur, assure que six photos Instagram sont envoyées sur Facebook… chaque seconde !
Elue application Apple de l’année 2011, sa déclinaison pour téléphones sous système Android est attendue cette année. Les « Androidiens » peuvent évidemment déjà bidouiller leurs images, notamment avec Retro Camera ou pixlr-o.matic.
Vieux jeu ?
« Ces applications confèrent aux images les plus quelconques une personnalité et une esthétique souvent intéressantes, remarque André Gunthert, chercheur en culture visuelle, maître de conférence à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales et directeur de Culture visuelle, média scientifique collaboratif. C’est aussi un moyen de donner de la matière, du corps, à des clichés virtuels. » Toutefois, le chercheur nuance l’importance de l’aspect vintage. Selon lui, c’est avant tout la diffusion immédiate de ces images et l’aspect ludique qui expliquent leur succès. « Les utilisateurs « jouent à la photo » ! Ils ne se prennent pas au sérieux. C’est en clin d’œil qu’ils utilisent, et cassent les codes de la photo ancienne. »
Pas de smartphones ? Pas de panique. Des tas de sites vous permettent de vieillir vos clichés en quelques clics : pixlr.com/o-matic, picnik.com, simpleretro.com, vintagejs.com ou encore poladroid.net. « Il y a une volonté d’historiciser les images et ainsi de bénéficier du prestige rattaché à l’Histoire de la Photo, analyse André Gunthert. Autrefois, la photographie était « de son temps ». Aujourd’hui, la photo n’est plus uniquement contemporaine à elle-même. On cite, pour ne pas dire on singe, la photo des années 30, 40 ou 50. »
Lomo, Holga, Diana, Pola…
Côté appareils photos aussi, ça sent bon la madeleine de Proust. Lomo, Holga, Diana… Non il ne s’agit pas des nouvelles conquêtes d’un ex-candidat à l’Elysée, mais de modèles d’appareils photos aux fonctions ultra-minimalistes et qui ont le point commun d’utiliser – accrochez-vous à votre carte SD – des pellicules !
A l’origine, il y a la découverte par deux étudiants autrichiens, d’un appareil russe rudimentaire, le Lomo LC-A, sur un marché aux puces. Leurs photos étaient pleine de défauts, de couleurs étranges, de mises au point aléatoires (j’en passe et des plus floues) mais si séduisantes que les deux amis ont négocié un contrat de distribution mondiale pour le Lomo. Tout cela se passait au milieu des années 90. Depuis, le phénomène est devenu une marque et un mouvement. La lomophotographie rassemble tout ce que la planète compte comme appareils argentiques rudimentaires, souvent proches du jouet, mais terriblement branchés. Longtemps resté de niche, ce marché est en pleine expansion, d’ailleurs même la Fnac vend le Diana, réédition d’un appareil cheap des années 60.
Matos : un air de déjà vu
Les marques « sérieuses » ne sont pas en reste. Fuji a fait un carton chez les pros et amateurs avertis avec son X-100, un compact expert à focale fixe vendu près de 1 000 euros dont le design est clairement inspiré du Fujica V2 de 1964. Mais c’est Olympus qui avait ouvert le bal avec ses appareils PEN E-P à la dégaine pompée sur le PEN F de 1963.
Du côté de Pentax, les possesseurs du compact Q peuvent lui fixer deux « toys lens » (un 35 mm et F7.1 et un 100 mm se contentant d’ouvrir respectivement à F7.1 et F8) afin d’obtenir des clichés de type Lomo. Même les reflex commencent à s’incruster dans l’esprit rétro. Ainsi, les Canon 60 D et 6000 D proposent des filtres numériques créatifs (toy camera, effet miniature, mise au point adoucie).
Enfin, préparez-vous à secouer la main, pouce et index pincés sur un bout de carton : Polaroid est de retour. Son nom, Z340, fleure bon les années 80 et son look est dérivé du Spectra, mais il s’agit bien d’un appareil numérique doté d’un capteur de 14 millions de pixel. Retro-digital en diable, il propose le développement instantané ET le stockage sur carte mémoire.
Rideau
Avant de couper le contact de la DeLorean, immortalisons ce petit retour vers le passé en pénétrant dans le photomaton d’Harcourt. Le célèbre studio photo, passage obligé de toute star qui respecte son image, a mis au point une cabine étonnante qui, pour 10 euros, vous permet de ressortir avec votre portrait nimbé de sa lumière si mythique.
Le secret ? Aucun flash mais une lumière continue qui restitue le fameux halo lumineux et l’emblématique dégradé d’ombres. A tester à Paris, aux cinémas MK2 Bibliothèque et Gaumont Marignan, dans les magasins Printemps Haussmann et Franck&Fils ou encore au Chesnay dans le Centre commercial Parly2.
Déclic de fin
Impossible de dire si la mode retro durera bien longtemps. Mais pour André Gunthert, certains de ses aspects ont déjà chamboulé ce qu’il nomme l’ADN de la photographie. « Lomophotographie, iPhone, design des appareils, etc., gardons-nous d’analyser tous ces aspects avec la même grille de lecture. Ce qui est clair toutefois, c’est qu’il ne faut pas réduire cette tendance rétro à de la nostalgie. Que l’altération logicielle et les filtres numériques, désormais présents même dans les appareils experts, soient autant assumés, revendiqués, c’est résolument moderne ».
Mais il n’y a pas que la chute du tabou de la retouche automatisée qui interpelle le chercheur. Selon lui, l’autre aspect essentiel est l’instantanéité de la diffusion des clichés. « Les premiers compacts autant « communicants » que nos smartphones seront sans doute commercialisés dès cette année. Car aujourd’hui, une photo banale partagée sur les réseaux sociaux a souvent plus d’intérêt, pour son auteur, qu’un cliché magnifique imprimé en 40 cm par 30 cm… que personne ne verra ! » Souriez, le petit oiseau va surfer !