Dimanche pluvieux, je décide d’aller nager à la piscine.
Première surprise : pas de vestiaire privé… J’ai eu beau tourner dans tous les coins, fureter et chercher les portes : rien. Pas de petite cabine individuelle dans laquelle on peut se changer. Bon, je me décide à me dévêtir et à passer mon maillot de bain face à mon casier, devant les autres utilisatrices. Au pays des onsens, la nudité ne pose aucun problème, lorsqu’elle est dans les lieux qui lui sont réservés.
Arrivée près des bassins, deuxième surprise ! Haaaaaa mon dieu mais qu’est ce que c’est que cette musique qui braille ??? De la pop japonaise (dont je suis peu fan, je l’avoue) est diffusée par des hauts-parleurs, à chaque angle du bassin. Misère ! Je dois me résigner : le silence dans les lieux publics est absolument inconcevable ici…
Un peu plus tard, j’ai l’occasion de discuter avec une jeune femme. Elle me pose de nombreuses questions sur ma perception de son pays. Je lui dis que la seule chose qui me déplaît vraiment et à laquelle j’ai du mal à me faire, c’est le bruit incessant. A titre d’exemple, je lui fais remarquer la musique qui règne ici. Elle me regarde surprise. Je lui explique qu’en France il n’y a jamais de musique dans les piscines municipales. Petite onomatopée d’étonnement : « hééééééÉÉÉééééé ?! ». Elle m’explique alors que ma remarque la surprend. Pour elle, c’est au contraire difficile de concevoir une piscine sans musique, c’est indispensable pour se motiver, pour faire du sport. Sinon, c’est trop calme et l’atmosphère n’invite pas à l’activité physique.
Je rentre dans l’eau, et troisième surprise : le bassin ne fait qu’1,20 mètre de profondeur. Pas de « petit bain » et « grand bain ». On a pied partout, l’eau arrive à peine à hauteur de nombril pour les plus grands. C’est vraiment une piscine pour nager, pas pour jouer. Je suppose que bien des piscines au Japon sont accessoirisées et offrent leur lot de jeux aquatiques. Celle-là est simplement une piscine sportive.
J’observe rapidement. Plusieurs personnes ne nagent pas, elles marchent dans l’eau, faisant de grandes enjambées. Elles se suivent dans un couloir. Je commence à nager. Quelques regards curieux se posent sur moi, mais plutôt bienveillants. Une grand-mère mobilise même ses quelques mots d’anglais pour me dire « naïsuuuu booodiii » ( « nice body », avec l’accent japonais), et glousse ensuite avec ses copines.
D’une manière générale, je trouve que la plupart des femmes âgées japonaises sont ouvertes et plus détendues. Elles se lâchent beaucoup plus que leurs filles et petites filles, elles se permettent plus de choses. Je le constate tous les jours lorsque j’enseigne : mes étudiantes âgées éclatent de rire en se tapant les cuisses, quand les jeunes femmes esquissent un sourire qu’elles dissimulent derrière leur main.
La quatrième surprise, la plus importante, m’attendait quelques temps plus tard. Vers 15h55, la musique est coupée. Une annonce est faite dans les hauts-parleurs, que je ne comprends pas et que j’ignore. Je continue à nager. Je ne remarque pas que certaines personnes commencent à sortir de l’eau. A 16 heures, appel dans les mégaphones pour inviter tout le monde à sortir. Effectivement, le bassin se vide de ses quelques rares nageurs qui n’avaient pas répondu au premier appel. Je suis le mouvement, curieuse de savoir ce qui se passe.
Nous sommes tous là, dégoulinants dans nos beaux maillots, alignés le long du bassin. Je me demande bien ce qui se passe mais les autres personnes papotent entre elles, elles semblent parfaitement au fait de l’évènement.
C’est alors qu’une musique retentit à nouveau dans les hauts-parleurs, et que tout le monde, en rythme, commence à pratiquer quelques mouvements de gymnastique ! J’écarquille de grands yeux.
Les surveillants de baignade montrent les gestes à enchaîner, mais je constate que la plupart des personnes ne les regardent pas. Certains continuent à discuter entre eux tout en faisant les mouvements sans se tromper. Tout le monde semble connaître par cœur cette chorégraphie. Après enquête, il semblerait que ce soit les mêmes mouvements que ceux pratiqués lors de la « gymnastique matinale en commun » dans certaines entreprises.
Ainsi donc, dans la plupart des piscines, on fait sortir les gens de l’eau toutes les deux heures, pour leur faire faire de la gymnastique… Un ami japonais à qui cela déplaît aussi, m’a raconté qu’il avait tenté une fois de rester dans l’eau : on l’a aussitôt rappelé à l’ordre à l’aide du mégaphone ! Pas moyen de rester dans le bassin pendant que les autres « dansent ».
Je continue à aller à la piscine. Je m’adapte. Je sais désormais que cela se passe toutes les deux heures, et que 16 heures est l’un des horaires fatidiques ! Je m’arrange donc pour arriver juste après une petite séance commune, et partir bien vite avant la suivante.