Tous les matins, il ramasse les déchets d’emballages qui ponctuent sa route. Fabrice Peltier en fera des œuvres d’art et les remettra en circulation. Ces boîtes en métal, canettes rouillées et rabougries d’Orangina, de Pulco, il les a lui même dessinées.
En 1985, celui qui s’est baptisé le "designer de l’ordure" fondait l’agence P’Référence, l’une des premières spécialisées dans le design packaging. « Je sortais d’Estienne, une école de design et graphisme. Un packaging est la première chose qu’on m’a demandé de faire. Je ne savais pas ce que ce terme voulait dire. Puis je n’ai plus arrêté d’en faire. » Tombé par hasard dans l’emballage, il crée tout de suite sa propre boîte parce qu’il ne se voyait pas « travailler pour quelqu’un d’autre ». Il n’a alors pas 22 ans.
Il ne s’y voyait pas mais se pique rapidement de packaging. « L’emballage est passionnant parce qu’il est culturel. Entre l’art et lui, il y a énormément d’échanges créatifs depuis le 19ème siècle. C’est aussi un moyen de comprendre la société. Il suffit de regarder un emballage pour constater que les familles se déchirent, qu’elles mangent moins à la maison mais davantage à l’extérieur… »
Membre d’associations écolo avant l’heure, le garçonnet ramasse chaque week-end les déchets d’emballage qui peuplent son village, en Lozère. En 1970, 9 ans au compteur, le jeune Peltier remporte un concours de dessin organisé par l’Unesco, dans le cadre d’une résolution érigeant l’éducation comme valeur principale pour préserver l’environnement. Le packaging, un hasard ? L’inconscient a de beaux jours devant lui…
Très vite, l’entreprise cartonne et P’Référence devient une incontournable dans le domaine. A l’époque, se sent-il fautif d’être le père de déchets d’emballage, ennemis jetables de la planète ? Contrarié, Fabrice Peltier hausse le ton. « Je n’ai pas à me sentir plus coupable que les autres. Tous les jours, je prends n’importe qui la main dans le sac. » C’est pourtant bien lui l’auteur des ignobles boîtes qui, par leur unique présence, abîment tous les paysages ! « Il faut relativiser avec l’emballage. Ces déchets sont recyclables à l’infini. Si vous les mettez dans le bon circuit, ce ne sont plus des déchets dangereux. Une fois dans son bac de tri, la boîte n’est pas un problème. » Reste au (sur)consommateur de savoir prendre ses responsabilités !
Il poursuit, entre véhémence et pédagogie : « Il faut avoir le cul dans du coton à Paris, où l’eau coule à flots, pour critiquer l’emballage ! Pourquoi Napoléon a-t-il fait inventer la conserve ? Pour que ces grognards n’aient pas le scorbut. Il ne faut pas oublier une chose : si aujourd’hui, il y a moins d’intoxications alimentaires, moins de pertes alimentaires, si aujourd’hui je suis expert auprès de l’ONU, c’est parce que l’emballage sauve bien plus de vie qu’il n’en tue. »
On l’aura compris, le designer ne veut pas supporter à la place des autres les dégâts de leur paresse. Ceux qu’il montre du doigt : les populations occidentales. « L’emballage est un problème de pays riches », assène-t-il.
La seule valeur en laquelle croit le designer en matière de protection de la planète, c’est l’éducation. Pour preuve, sa fonction d’expert auprès de l’Onudi, l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel. Il court le monde, à la rencontre des populations des pays en développement où il prodigue de précieux conseils. « Là-bas, ils manquent d’emballage. Nous en avons trop, eux, pas assez. C’est la raison pour laquelle le choléra sévit en Haïti. »
Le spécialiste ne fait pas la leçon et aborde ces populations sans jamais agiter devant eux le spectre de nos propres erreurs. « Ils ont largement le droit de commercer, le droit à la vie, à la consommation. Si on ne leur donne pas d’emballage, comment pourront-ils échanger entre eux et exporter. Il n’y a pas que nous qui avons le droit de leur envoyer nos merdes. » Dans ces pays « à mouches », comme il les appelle, il refuse de boire l’eau courante et déplore l’absence des bouteilles bénies.
L’ONU s’est intéressée à Fabrice Peltier car, depuis des années, il s’illustre en tant que militant inconditionnel pour le développement durable. En début d’entretien, il s’emportait lorsqu’était évoquée la question de sa responsabilité quant à la prolifération de l’emballage. Parce qu’en fait, loin d’être coupable, il est au contraire le messager de la première heure d’un comportement responsable ! « Jusqu’au début des années 90, je ne me rendais pas compte que l’emballage était un déchet. En 1994, l’Union européenne adopte une directive concernant le tri des déchets et j’ai eu un déclic. A la fin des années 90, j’écris mes premiers articles vis-à-vis des designers. Mon discours : "responsables, bientôt coupables"» . Fabrice Peltier estime alors que les créateurs d’emballages devaient également prendre leurs responsabilités. « J’organisais des conférences. On était dix dans la salle à s’autocongratuler. Mais les autres me prenaient pour un fou. Ils me tapaient dans le dos en disant "c’est bien" mais ils s’en foutaient complètement. »
Il s’est agité durant de longues années avant que son discours ne soit entendu et compris. Il s’est battu à coup de conférences, d’articles et même de livres. Si l’obstiné a obtenu gain de cause, il ne se repose pas sur ses lauriers. En 2008, Fabrice Peltier ose un nouveau pari. Une fois de plus, il passe pour un illuminé. Le bagarreur ouvre les portes de la DesignPack Gallery, un endroit où est faite la promotion de l’art du design packaging. La boutique du "musée" vend pochettes tressées en sacs plastiques, patères en bouteilles plastiques et autres sacs en anneaux d’ouvertures de canettes métalliques. Place au grand détournement !
« Avec ce lieu, je prouve qu’il y a plusieurs alternatives. Quand on s’est jeté, bille en tête, dans le recyclage, en 1993, je pensais déjà que c’était un alibi pour tout jeter. Le recyclage n’est pas la seule façon de transformer les choses. Il s’agit seulement d’une des solutions. » Lavoisier en sait quelque chose, l’émissaire cite alors le grand homme : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». Il suffit seulement de prendre la peine de réfléchir à la meilleure manière de transformer les choses, au cas par cas.
Galeriste, auteur [fn]Eco-design, chemins vertueux, Editions Pyramyd, 2007.[/fn], chef d’entreprise, expert auprès de l’ONU… Est-il capable de se mettre au vert ? « Je me suis fixé un objectif. Quand je ferai le bilan des 10 000 produits que j’ai créés et qui ont été des déchets, et le bilan de toutes les expositions, les bouquins, les industriels qui, grâce à moi, ont réduit de 40% leur émission de CO2, si je pouvais finir avec un bilan carbone neutre, je serais vraiment content. »
Veut-il se racheter une conduite ? A-t-il peur du jugement dernier ? « Je trouve ça bien et juste. Tout simplement. » On le découvre grand optimiste mais pas utopiste. Il montre son fond d’écran d’ordinateur. Le désert à perte de vue, Fabrice Peltier juché sur un quad. « On peut vivre avec son époque et donner à la planète. Une question d’équilibre. On peut continuer à faire la fête mais de manière responsable ! »
L’homme est serein, apaisé : « J’ai vu les choses changer, je sais qu’on va dans le bon sens et qu’il n’est pas trop tard. La Terre a une capacité de survie et de régénérescence incroyable. Seulement, il ne faut pas baisser les bras ! » La planète peut compter dessus, Fabrice Peltier n’a pas encore tout déballé de l’emballage.