« Premières solitudes », confessions intimes entre ados

« Premières solitudes », confessions intimes entre ados

« Premières solitudes », confessions intimes entre ados

« Premières solitudes », confessions intimes entre ados

Au cinéma le 14 novembre 2018

Devant la caméra de Claire Simon, des lycéens d'une classe de Première, spécialité cinéma, discutent entre eux du sentiment de solitude. Ils parlent d'amour, d'amitié mais le sujet central est la cellule familiale, souvent en mauvais état. La cinéaste capte dans ce documentaire touchant les angoisses et les espoirs de ces ados qui parlent avec justesse d'une solitude à apprivoiser.

Ils ont entre 16 et 18 ans et étudient le cinéma au lycée Romain Rolland d’Ivry-sur-Seine. Entre les cours — et même parfois pendant — ils discutent de tout et de rien. Dans les couloirs, assis sur un banc en dehors du lycée ou encore sur un parapet qui surplombe la ville, ces jeunes gens dialoguent à deux ou à trois. À travers leurs échanges, ils découvrent leurs histoires respectives et échangent sur leurs expériences familiales, leurs passions et la solitude qu’ils ressentent parfois de manière très intense. Un sujet central alors qu’approche le moment de quitter une famille souvent déjà totalement disloquée.

Premières solitudes © Sophie Dulac Productions - Carthage Films

Ados, l’essence

Le nouveau documentaire de Claire Simon est au départ une commande. Dans le cadre d’un partenariat entre la ville d’Ivry-sur-Seine, un cinéma local et le lycée Romain Rolland, la cinéaste a été invitée à réaliser un court-métrage dans lequel devaient jouer les élèves de la classe de Première, spécialité cinéma. Mais peu convaincue par sa capacité à écrire pour des adolescents, la réalisatrice de Récréations (1998) et Le concours (2016) [lire notre chronique] a détourné le projet initial en filmant les jeunes. Dans un premier temps, en réalisant des interviews face caméra avec dix jeunes. La cinéaste possédait un peu plus d’une heure de ces confessions individuelles lorsqu’elle a choisi de ne pas les conserver pour son documentaire. Elle a préféré — judicieusement vu le résultat — faire parler entre eux ces élèves, par petits groupes de deux ou trois. Les lycéens qui ne se croisaient qu’une fois par semaine pour leur cours de cinéma ont appris à mieux se connaître devant la caméra de la réalisatrice qui orchestrait ses rencontres et laissait ensuite filer la conversation, guidée par la curiosité de chacun. Cette fois-ci, les ados le savent ces entretiens pourront être utilisés dans le projet final. Malgré cela ils se livrent avec un naturel déconcertant.

À travers ces confessions, Claire Simon capte des paroles justes et une émotion — période adolescente oblige — souvent à fleur de peau. Plus que des jeunes qui parlent d’eux, la cinéaste filme des individus qui s’écoutent mutuellement. Cette écoute encourage la parole et la capacité d’entendre et d’être attentif à l’autre — présente tout au long du film — évite tout sentiment de voyeurisme malgré des histoires parfois très lourdes et des moments de lâcher-prise émotionnel. Hugo et Judith parlent ainsi sans tabou de leurs complexes physiques qui les isolent des autres. Devant la caméra de la cinéaste, la sincérité de ces jeunes étonne, amuse parfois et bouleverse souvent. En discutant entre pairs, la parole n’est pas forcément plus aisée mais possède un aspect certainement plus franc, en tout cas plus direct que s’ils s’étaient confiés à un adulte. Claire Simon a choisi d’orienter la conversation sur le thème de la solitude : un point commun entre elle et ces jeunes gens malgré les années qui les séparent. Un thème porteur mais dont le centre de gravité pour ces jeunes n’est pas celui qu’avait imaginé la cinéaste.

Premières solitudes © Sophie Dulac Productions - Carthage Films

Forever (together) alone

En choisissant de les faire échanger sur le sentiment de solitude, Claire Simon pensait que ces conversations lycéennes tourneraient autour des notions d’amitié et d’amour. Si ces sujets sont bien présents, celui qui revient pourtant inlassablement est celui des parents. Et, très souvent, il s’agit d’évoquer une absence douloureuse. Ces dix jeunes — évidemment non représentatifs du point de vue sociologique — évoquent très fréquemment l’éclatement parfois cruel de la cellule familiale. Le fait d’avoir encore ses deux parents à la maison est pour beaucoup un rêve et une situation qui semble devenue minoritaire. La cinéaste s’est d’ailleurs demandé si elle ne signe là pas un film « réactionnaire » en interrogeant ce sujet des familles éclatées mais comment ignorer dans ces conversations adolescentes les douloureux sentiments d’abandon qui sont exprimés. Ainsi Clément n’a pas vu son père depuis 10 ans alors qu’une autre élève explique que le sien ne peut pas l’écouter jouer du piano qu’il lui a offert car sa mère lui interdit de franchir le palier.

Et même lorsque le père est présent physiquement au sein du foyer, il semble totalement transparent. Hugo explique ainsi avec émotion que son paternel mange seul à son bureau, en périphérie du reste de la famille. C’est ainsi, explique le jeune homme : il est solitaire, mais ça ne veut pas dire qu’il ne nous aime pas. Une certitude qui n’empêche pas pour autant les larmes de couler sur le visage de l’adolescent. Une autre élève, Mélodie, regarde quant à elle la télé pendant que sa mère suit une série asiatique sur son Ipad : autre signe d’un manque de communication entre ados et parents que l’on pourrait penser souhaitée mais qui est souvent très mal vécue. Cette solitude par rapport aux parents est probablement plus prégnante dans leurs discussions car ces jeunes savent qu’ils sont à un tournant de leur vie. Avec l’arrivée à l’âge adulte se profile la dernière ligne droite avant une séparation inévitable et qui est déjà effective pour certains. Ces jeunes semblent vouloir en profiter avant qu’il ne soit trop tard : se rattacher à un morceau de la falaise familiale avec qu’il ne cède et les entraîne dans le vide d’une société individualiste.

Ce qui ressort et touche particulièrement dans Premières solitudes est une sorte d’universalité face au sentiment de solitude, malgré des situations très différentes. Le spectateur se retrouve obligatoirement dans les paroles de certains ados : que cela lui rappelle des angoisses de l’époque de sa propre adolescence ou des questionnement actuels. Comment quitter le cocon familial, se retrouver seul et heureux ? C’est en substance ce qui anime les conversations de ces jeunes, pour certains ayant déjà expérimenté cette sensation d’être seul au monde. En interrogeant un groupe de filles sur leur désir d’avoir ou non des enfants, Claire Simon met en lumière un autre dilemme : comment croire en l’amour quand vos parents se déchirent sous vos yeux ?

Parmi les quatre filles réunies, Lisa dont l’histoire familiale est compliquée — et c’est un euphémisme — est logiquement la seule à ne pas réussir à s’imaginer mère. Et l’une de ses camarades de préciser : faire des enfants oui mais en essayant de ne pas refaire les mêmes erreurs que nos parents. Avec des mots d’une grande simplicité, ces lycéens expriment bien ce sentiment de solitude qui va bien au-delà de cet « âge ingrat » qu’est l’adolescence. La réalisatrice fait d’ailleurs mentir cette expression. Filmés sans voyeurisme, la capacité d’écoute et de compassion lumineuse qui se dégage de leurs échanges si francs rendent ces adolescents particulièrement touchants.

Détournant un projet de commande, Claire Simon propose un documentaire à fleur de peau qui explore la solitude chez des lycéens étudiant le cinéma. Le résultat est digne d’une fiction réussie. Avec son casting très attachant et ses sages paroles, Premières solitudes parle autant à notre fantôme adolescent qu’à l’adulte toujours empêtré dans un sentiment de solitude éternel impossible à détacher de la condition humaine.

> Premières solitudes, réalisé par Claire Simon, France, 2018 (1h40)

Affiche du film "Premières solitudes"

Premières solitudes

Date de sortie
14 novembre 2018
Durée
1h40
Réalisé par
Claire Simon
Avec
les lycéens du lycée Romain Rolland d'Ivry-sur-Seine
Pays
France