"Franchement, si vous m’aviez demandé de me photographier dans la journée, je n’aurais jamais dit oui. Mais là au petit matin…" Elloa, une étudiante de 20 ans, a croisé le chemin de Julien Bottriaux, à l'aube dans le métro parisien. Comme des dizaines d'autres usagers auxquels ce photographe amateur s'intéresse depuis deux mois sur son blog Premiers métros.
Leur point commun : ils voyagent sous la ville au moment où Paris dort encore, entre 5h30 et 6h30, à l'heure des premiers métros. "Au petit matin, le profil des voyageurs n'est pas tout à fait le même que celui des personnes qu’on peut croiser en journée", explique Julien Bottriaux. Alors il a pris son appareil photo pour aller à leur rencontre, et faire avec eux un bout de chemin le temps de quelques stations.
"Le matin, les gens sont dans une disposition particulière du fait de l'atmosphère qui règne dans les premiers métros. Il y a beaucoup moins de monde. Les gens qui partent tôt sont plus disponibles", estime Julien Bottriaux. Et n'ont pas tout à fait le même profil que ceux qui prendront d'assaut les rames aux heures de pointe. "Le tout premier métro, c'est souvent celui de la misère. Les gens dorment, serrés dans leur manteau. Ils sont exténués. Ce sont les gens que l'on ne voit pas." Beaucoup reviennent d'une nuit de ménage, ou partent le faire, dans les entreprises, avant l'arrivée des employés. "Il s'agit souvent de personnes en difficultés", observe le photographe. D'ailleurs, ils acceptent plus rarement de se laisser prendre en photo.
Il est 5h30, Paris s'éveille
"Les gens du matin sont ceux qui préparent Paris pour le reste de la population", remarque Julien Bottriaux. Ils travaillent dans la propreté, mais aussi la restauration, la sécurité, à La Poste, dans les jardins… Si beaucoup voyagent seuls, certains sont en bandes. "Les femmes de ménage reviennent ensemble de leur nuit de travail. C'est comme s'il y avait une chef de clan. Lorsque je m'adresse à l'une d'elles, elles m'orientent vers celle qui parlera pour les autres et acceptera ou non de se laisser photographier, au nom du clan."
Dès les deuxième et troisième métros, la population des rames varie légèrement. On y croise Ornella l'infirmière en intérim, Julien le coffreur-boiseur qui se lève bien avant le métro car il n'habite plus à Paris. "Je ne peux plus assumer le loyer. Beaucoup trop cher. Je suis parti en banlieue", indique-t-il au photographe. Fabio, metteur en scène pour le théâtre, a rendez-vous pour partir en covoiturage à Metz, d'où il prendra un train pour Luxembourg. "On fait des économies où on peut", explique-t-il. "Le métro à cette heure, c'est incroyable. Je vois des gens que je n'aurais jamais vu la journée."
Pour certains, le métro n'est pas le début, mais la dernière étape d'un long trajet en bus et trains de banlieue. Comme Marie, 61 ans. Cette assistante de direction vivant à la frontière de l'Aisne se lève à 3 heures, pour arriver au travail à 6h30. "Ça fait 20 ans que je fais ça. 45 ans que je travaille au même endroit, au Ministère de l’agriculture. J’aime mon métier !" explique-t-elle, souriante, au photographe.
Changer de ligne, changer d'ambiance
En changeant de ligne, la sociologie des usagers du petit matin change aussi d'ambiance. En prenant la ligne 1, qui dessert notamment Gare de Lyon et la Défense, le photographe croise facilement des CSP+ en route pour aller prendre un train tôt, ou pour le quartier d'affaires. "Ces cadres profitent du temps de transport pour travailler, faire leur revue de presse."
Et puis il y a le week-end. C'est encore une autre histoire. Le premier métro, le week-end, est plutôt celui des fêtards qui rentrent dormir. "Ils sont assez déshinibés", sourie Julien Bottriaux. Mais ne sont pas des habitués des voyages à l'aurore. "On croise des gens bizarres, des gens qui ont bu. Y'a deux minutes, des gens dansaient dans la rame. C'est sympa finalement !" confie Jean-Charles à Julien Bottriaux.
Recroiser des visages familiers
"Les gens me disent toujours qu'ils recroisent souvent les mêmes personnes, sans pour autant leur parler. Mais si un matin ils ne les voient pas, ils s'inquiètent. Il y a une sorte de bienveillance dans les premiers métros." Ces usagers, Julien Bottriaux aimerait les faire se recroiser, le temps d'une exposition de ces portraits. "Ca me permettrait de convier tous ceux que j'ai photographié, et dont j'ai gardé les coordonnées". Une occasion de rassembler ces profils si divers, qui partagent pourtant au moins deux points communs. Les trajets en métro très matinaux, et une certaine joie de vivre. "Je devine chez certains un quotidien difficile, les galères. Pourtant, ils racontent leur histoire sans se plaindre. Ils sont plutôt souriants, optimistes."