Le Prince Miiaou, work in progress

Le Prince Miiaou, work in progress

Le Prince Miiaou, work in progress

Le Prince Miiaou, work in progress

28 octobre 2013

Le Prince Miiaou au cinéma ? Belle trajectoire pour la musicienne Maud-Elisa Mandeau que nous avons suivie depuis ses débuts, à l'époque pas si éloignée où elle enregistrait des albums autoproduits. Le cinéaste documentaire Marc-Antoine Roudil est, lui aussi, tombé sous le charme de cette jeune femme énergique et persévérante. Il en a tiré un beau documentaire de l'artiste au travail lors de la gestation de son dernier album. Un face à face qui dit tout des doutes et de la solitude éprouvés, loin des projecteurs et de la scène.

Pourquoi faire un film sur la musique et pourquoi le choix du Prince Miiaou ?

J’avais envie de faire un film autour de la musique mais sans discours précis. L’idée de départ, c’est ma fascination pour le « Neverending Tour » de Boby Dylan et la question du travail en tournée. Qu’est-ce qui pousse encore cette légende vivante de plus de soixante dix ans à faire ce qu’il fait ? Il doit bien y avoir une sorte de plaisir. Un temps j’ai envisagé de suivre Marianne Faithfull que je connais un peu car elle a fait une voix off sur l’un de mes films, mais j’ai abandonné l’idée au bout de deux ou trois rendez-vous car c’est la star avec tout ce que cela suppose de monde et de déférence autour d’elle. Ce n’est pas ce qui m’intéressait. Et puis, c’est un article sur le Prince Miiaou dans Libé qui m’a interpelé. Il y avait une photo en couleur de Maud-Elisa et le journaliste avait un vrai coup de cœur pour cette artiste autoproduite. Ça m’a plu. Je suis entré en contact avec elle lors d’un de ses concerts à Lille. En la voyant arriver sur scène, j’ai tout de suite su que j’avais envie de faire un film avec elle.

 

Comment avez-vous réussi à la convaincre d’entrer dans votre projet ?

Le lendemain nous nous sommes vus. Il faut toujours se méfier des intentions trop précises que l’on a pour faire un film documentaire. J’ai commis plusieurs films avec Sophie Bruneau dont « Ils ne mourraient pas tous mais tous étaient touchés ». A l’époque je voulais faire un film sur le travail mais quoi de plus ? Pas grand chose.  C’est en en discutant à bâtons rompus avec Maud-Elisa que le projet de film s’est précisé. Elle m’a dit qu’elle devait franchir un pallier, sortir un nouvel album, enregistrer l’été suivant mais qu’elle n’avait aucune chanson de prête. Elle a commencé à me dérouler tout son processus de travail que j’ai trouvé super intéressant. Je lui ai fait part de mon envie de la filmer, elle a réfléchi 15 jours et m’a donné son accord. Je n’ai pas oublié sa phrase d’alors : « C’est bon, vous pouvez venir, je suis curieuse ».

Et vous avez foncé sans attendre ?

Oui j’ai débarqué dans sa ferme en Charente sans un sou. C’est le syndrome du documentariste de devoir faire des projets dans l’urgence sans attendre de financement. J’ai vu tellement passer de train dans ma vie de cinéaste documentaire que j’ai sauté dans celui-là. On s’est retrouvé dans une situation bizarre où elle essayait de faire un album et moi un film dans un face à face qui ne fut pas toujours simple car je la filmais de manière frontale du matin au soir dans une pièce de 8m2.

 

Vous pénétriez alors une intimité forte. Avez-vous éprouvé des difficultés à tourner certaines séquences ?

Pas vraiment même si c’est toujours compliqué de faire un film. Au début j’ai cherché mes marques, je ne les ai pas complètement trouvées. Je me souviens aussi qu’elle m’interpellait beaucoup. Et puis Maud-Elisa travaillait la nuit ce qui me causait des problèmes techniques considérables car je n’avais pas les moyens d’éclairer la pièce. Mais à part cela, elle s’est ouverte à cette proposition avec générosité. Elle a notamment accepté de se lever tôt le matin pour qu’on puisse tourner à la lumière du jour.

 

En vous installant à demeure, n’avez-vous pas été tenté de trop filmer et, par conséquence, n’avez vous pas capté des choses répétitives ?

Non même si effectivement en vidéo on a tendance à tourner beaucoup plus qu’en pellicule. J’ai tourné en deux sessions de 15 jours trois semaines avec une interruption de 15 jours. Cette interruption m’a permis d’analyser une première fois ce que j’avais filmé et de repérer ce qui m’intéressait. J’ai par exemple laissé de côté tous les rushs de nuit pour ne m’intéresser qu’aux moments où elle m’oubliait, où ça résistait, où elle n’y arrivait pas. Il y a un plan emblématique qui illustre cela : celui oùelle joue de la basse. A ce moment précis, elle est vraiment dans son monde intérieur, dans le travail, elle se roule une cigarette mais la repose. Et je suis totalement absent pour elle. J’ai enlevé la plupart des plans où il y avait de l’interaction entre nous.

Pourtant au début du film, vous êtes assez présent notamment en lui posant une question…

Il s’agissait pour moi de légitimer ma place et de rapidement évacuer la question de ma présence dans ce lieu-là. Il fallait bien que j’intervienne à un moment ou un autre. Mais j’existe mais pas plus que cela non plus.

 

Il y a trois moments dans le film, l’écriture, l’enregistrement et la scène. Quelle partie du film avez-vous préféré filmer ?

Sans conteste le face à face avec elle quand elle était plongée dans la composition. C’est une expérience unique dans l’exercice du cinéma du réel. J’ai beaucoup appris de Maud-Elisa à ce moment-là.

 

Vous qui avez signé de nombreux documentaires, vous avez encore cette capacité à être surpris de la confrontation avec un sujet ?

Chaque film est unique car c’est un éternel recommencement. Je ne suis pas un cinéaste obsessionnel, j’aime bien trouver des formes différentes de film en film. Je n’avais jamais travaillé dans un tel face à face. Ce qui est magnifique dans cette aventure, c’est l’accueil et la générosité de Maud-Elisa. Tout était possible avec elle. Ça vous colle une sacrée pression, il faut être à la hauteur. Parfois, pendant le processus d’écriture, elle me disait qu’elle ne savait plus quoi faire et me demandai tmon avis sur un morceau. Je lui disais : « Prends la guitare… ». C’est le début du film. Tout cela pour dire qu’on a tout partagé. Elle voyait ce que je faisais, pouvais venir voir les rushs si elle en avait envie. Maud-Elisa a très vite compris ce que je recherchais, les moments où l’inspiration résiste, où c’est difficile.

Et le travail sur le son n’a pas dû être une mince affaire non plus ?

Je voulais un son de plus en plus travaillé à mesure que l’on traverse le film depuis la pièce où elle écrivait (le face à face) jusqu’à l’apothéose sur scène. J’ai donc travaillé de différentes manières. Quand j’étais seul avec elle, j’avais deux micros sur la caméra et un système de micro mis sur potence avec un Nagra. C’était un peu difficile à gérer tout seul mais Maud-Elisa m’aidait en faisant un clap. Pour la partie studio, je me suis fait aidé par un ingénieur du son et une assistance. L’espace à sonoriser était plus compliqué puisqu’il yavait la partie régie et la partie où Maud-Elsa enregistrait. Là, on était dans quelque chose de très lourd. Pour le concert, qui est un vrai faux concert, on a un son très travailléqui ne correspond pas à la réalité d’une prise live. On a passé une journée à la Nef d’Angoulême où ils ont joué pour moi dans des conditions live mais sans public. Puis j’ai refait du son à l’Olympia pour ajouter la présence du public.

 

Comment avez vous réussi à faire financer un tel projet d’auteur ?

Ma chance c’est de posséder une petite structure de production en Belgique (Alterego films) qui possède du matériel à disposition. S’il faut tourner demain, j’ai tout ce qu’il faut. Je suis donc assez libre pour la fabrication. Rechercher des financements c’est plus compliqué une fois que le film est commencé. Heureusement à Bruxelles où je vis il y a une bonne commission d’aide sélective aux projets documentaires. J’aurais voulu avoir un peu plus de moyens mais le film était trop avancé. On est dans un système mécanique où l’obtention de certains financements en génèrent d’autres. Quant à la diffusion, j’ai cru un moment qu’Arte rentrerait dans la boucle mais ça ne s’est pas fait.

 

Quel souvenir marquant gardez-vous de cette aventure ?

Peut-être la projection au Cinéma du Réel à Paris qui est l’un des grands festivals documentaire au monde. Nous avons bénéficié de circonstances exceptionnelles dans la mesure où ils nous ont offert la grande salle du Centre Pompidou qui n’est pas a proprement parlé une salle de cinéma mais qui est parfaite pour un concert et la mise en place d’une scénographie particulière. Nous avons projeté le film sur un écran mécanique et les musiciens sont arrivés à la fin pour jouer le générique en live dans le noir. Maud-Elisa était en fin de tournée, donc hyper à l’aise alors qu’au début du film elle est en plein doute. Ce contraste était intéressant. Et, quelque part, la boucle était bouclée.

 

> Le Prince Miiaou, un documentaire de MArc-Antoine Roudil, octobre 2013.